dimanche 25 mars 2012

BIBLIOTHÈQUE IBERIQUE

Trois auteurs parmi les grands noms de la littérature ibérique viennent d’être traduits en français. Trois œuvres puissantes et singulières, liées à l’Histoire, trois villes, et de multiples destins.


A Madrid, en 1936, la guerre civile se prépare. Ignacio Abel ne s’en soucie pas, tout occupé par son métier d’architecte renommé et par sa passion pour une jeune Américaine. Les événements autant que sa vie sentimentale le séparent peu à peu de sa famille. Rattrapé par la violence de la guerre en même temps qu’il est invité aux Etats-Unis par un mécène, il part seul, et suit un itinéraire qu’il espère être celui de son amante enfuie. Après plusieurs semaines d’errance pour quitter l’Europe, il se retrouve à New-York. Il a tout laissé derrière lui, il a tout perdu, il est harcelé de remords. Il ignore le sort réservé aux siens, ne porte plus qu’un costume froissé et n’a rien dans sa valise usée pour envisager une nouvelle vie. Antonio Munoz Molina, né en 1956, évoque dans son roman, Dans la grande nuit des temps, (Seuil 2012, traduction de Philippe Bataillon) une période qu’il n’a pas vécue. En près de 800 pages d’une densité magistrale, il montre comment s’entremêlent dans l’humain le bien et le mal, la fureur et la délicatesse, l’intelligence et la misère, l’espoir et le désarroi. En toile de fond monte la guerre civile, toute cette époque bien réelle avec ses personnages politiques, ses artistes, sa société, ses trahisons. Antonio Munoz Molina répond ici aux questions de Kathleen Evin, interview d’environ 40 minutes entrecoupée de la lecture d’extraits de ce roman à l’écriture éblouissante.


C’est à Barcelone que Juan Marsé situe sa Calligraphie des rêves (Christian Bourgois 2012, traduction de Jean-Marie Saint-Lu). La guerre civile est terminée ; la dictature est en place ; la résistance est un secret. Ringo est un adolescent qui observe avec beaucoup d’attention ce qui se passe autour de lui, dans le quartier de Gracia : ses voisins, les gens de passage, son père, officiellement employé des Services municipaux d’hygiène, désinfection et dératisation des lieux publics, qui s’affirme surtout chasseur de rats bleus et anticlérical.Passionné de musique, Ringo veut devenir pianiste, mais son rêve est anéanti par un accident qui le prive d’un doigt. Il se met alors à écrire, installé à une table du bar Rosales d’où il observe les allées et venues de Violeta, sa jeune voisine, et de sa mère, soignante, masseuse, rebouteuse. Elles sont la part de mystère de ce livre.
Juan Marsé nourrit ses romans de son autobiographie. Son œuvre est la chronique du quartier de son enfance et de sa jeunesse. Ses personnages se débattent dans un quotidien âpre, où la solidarité se mêle d’inquiétude. Ce sont ses parents qui détournent les questions de leur fils, des commerçants, comme le torréfacteur chez qui Ringo travaille la nuit, des passants, des copains. Et tous arpentent des rues sombres, dessinant la géographie de la ville au lendemain de la guerre. Ils sont vivants, ils sont présents, Juan Marsé est l’un d’eux. Une page consacrée à Juan Marsé se trouve ici.

 Plus loin, plus tard. Nous sommes à Lisbonne en 1987. Dans un garage aménagé en studio de travail, cinq jeunes femmes chantent et dansent. Elles préparent un spectacle de variétés et l’enregistrement d’un disque, sous la direction d’un célèbre chorégraphe. Toutes ont un passé marqué plus ou moins fortement par le colonialisme. Gisela est celle qui les motive et les entraîne avec énergie et non sans manipulation. Les deux sœurs Alcides sortent du conservatoire et sont partagées entre leur carrière et leurs amours. Madalena est noire, sa voix est sublime et sa vie mystérieuse. Solange, la plus jeune, est étudiante et écrit les paroles des chansons que le groupe interprète. Elle est la narratrice de La nuit des femmes qui chantent (Métailié 2012, traduction de Geneviève Leibrich), cette nuit où, vingt ans plus tard, elles ne sont plus que quatre à se retrouver sur un plateau de télévision.
Comme dans ses précédents romans, Lidia Jorge met en perspective la déroute des rescapés du colonialisme. Ici, ce sont des jeunes femmes qui ont vécu dans leur enfance la fin de l’empire colonial et qui en conservent des souvenirs aigus. Elles mettent leur espoir dans une carrière qui semble prometteuse. Entre pouvoir et mensonge se glisse la tragédie que Lidia Jorge dévoile avec beaucoup de profondeur et de subtilité.Une brève interview de l’auteure se trouve ici.


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