La
littérature observe le champ médical. Les praticiens, leurs usages, leurs activités.
Les patients, leurs douleurs, leurs espoirs. La confiante impuissance des uns s’en
remettant à la science des autres. Leurs vies respectives quand ils ne sont pas
confrontés les uns aux autres. Des histoires de cœurs, le muscle essentiel, le
centre des émotions.
Avoir
le cœur bien accroché pour lire le roman de Maylis de Kerangal, Réparer les
vivants (Verticales 2014).
Sentir
battre le cœur des surfeurs au milieu des vagues glaciales. Se laisser bercer
dans la tiédeur de l’habitacle d’une camionnette, au petit matin, sur une route
verglacée. Jusqu’au choc. Simon Limbres, assis entre ses deux copains, se
fracasse le crâne contre le pare-brise. Lorsqu’il est amené à l’hôpital en état
de mort cérébrale, son cœur bat. Durant les vingt-quatre heures qui suivent
l’accident, il battra encore, sera arrêté, prélevé, transporté, transplanté et
se remettra à battre dans un autre corps.
Pendant
ce temps, autour du corps de Simon Limbres, l’indicible douleur envahit le cœur
des siens, la compassion préside à toutes les interventions médicales. Tandis
que les parents de Simon se résignent lentement à la transplantation des reins,
du foie, des poumons, du cœur – mais pas des yeux – de leur fils, Thomas
Rémige, infirmier coordinateur des prélèvements d’organes, pense à son
chardonneret chanteur et Virgilio Breva, chirurgien du cœur, s’informe de la
composition de l’équipe italienne de foot qui joue le soir même. Puis dans la
salle d’opération où sont prélevés les organes de Simon, Thomas chuchote des
prénoms à l’oreille de Simon, diffuse le bruit des vagues à travers des
écouteurs stérilisés. Juste avant que Virgilio ordonne le geste décisif : clampage.
Maylis de Kerangal livre un roman puissant et magnifique de réalisme, de sensibilité, de profondeur. Elle affronte la technique avec des phrases au ciselet, elle dissèque les sentiments au scalpel. Un grand livre qu’il ne faut pas manquer. Une interview de l’auteure est ici.
Maylis de Kerangal livre un roman puissant et magnifique de réalisme, de sensibilité, de profondeur. Elle affronte la technique avec des phrases au ciselet, elle dissèque les sentiments au scalpel. Un grand livre qu’il ne faut pas manquer. Une interview de l’auteure est ici.
Le
cœur est multiple et Anna Enquist en
observe l’activité sentimentale dans son roman, Les endormeurs (Actes Sud
2014). Drik et Suzanne sont frère et sœur. Il est psychothérapeute, en deuil de
sa femme, Hanna. Elle est anesthésiste et concilie parfaitement sa vie privée
et son activité professionnelle. Jusqu’au jour où Allard, un patient de Drik
étudiant en psychiatrie, change d’orientation, se tourne vers l’anesthésiologie,
travaille dans le service et sous le contrôle de Suzanne. Entre eux se noue une
relation dévastatrice. Drik la pressent, l’apprend, mais se tait, sachant le
terme inévitable auquel conduira l’analyse.
Drik
et Suzanne ont chacun en face d’eux une personnalité qui paraît leur tendre un
miroir : Peter, le mari de Suzanne, est formateur à l’hôpital
psychiatrique. C’est lui qui encourage Drik à reprendre son activité de
psychothérapeute – délaissée lors de la maladie et de la mort de sa femme – et
lui envoie Allard. Suzanne a une fille, Rose. Leur relation est chaotique. Rose
était très proche de Hanna, sa tante. Elle fuit ses parents, elle s’échappe,
comme Suzanne parfois le voudrait pour elle-même.
Dans
son roman, Anna Enquist observe ceux qui aident à guérir le corps, les
anesthésistes, et ceux qui s’occupent de la souffrance morale, les analystes.
Les pratiques de l’anesthésiologie sont parfois démontrées de manière
didactique, mais les relations entre les personnages témoignent d’une grande connaissance
de l’inconscient : Anna Enquist était psychanalyste.
Ici se trouve une présentation du roman et on peut
en lire le premier chapitre sur le site des
éditions Actes Sud.
Quelle
vie à la fin de la carrière ? Celle d’Octave Lassalle, ancien chirurgien
du cœur, est tissée de solitude. Mais à quatre-vingt-dix ans, au prétexte d’anticiper
les effets de la dépendance, il engage quatre personnes, trois femmes et un
homme, chargées d’être présentes à ses côtés en une ronde quotidienne. Chacun
est en outre investi d’une mission particulière auprès du vieillard et dispose,
dans la maison, d’une chambre qu’il peut occuper à sa guise.
Le
roman de Jeanne Benameur, Profanes (Actes Sud 2013) va
beaucoup plus loin que la simple observation du présent. Bien que chacun des
protagonistes conserve la part privée de sa vie actuelle, l’exploration du
passé de chacun justifie les raisons de sa présence auprès de l’ancien médecin.
Et surtout, ce dernier, confronté à l’approche de sa mort, tente de trouver la
paix, le réconfort après les tragiques bouleversements de son existence.
Personne
mieux que son auteure ne peut parler en profondeur de ce roman intense. Dans
une séquence de l’émission La
grande Librairie,
Jeanne Benameur évoque longuement et avec beaucoup de justesse les personnages,
leurs relations, leurs doutes. Un très beau moment.



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