jeudi 26 juin 2014

DU NOIR, DU LOURD

Prévoir confort et ravitaillement ! Mêlant histoire et ethnologie, les polars de cet été sont des pavés : plus de cinq cents pages chacun. Et tous ont reçu au moins un prix décerné par des lecteurs. Preuve que les intrigues sont finement et efficacement tendues. Voici de palpitantes lectures !

Hervé Le Corre est un récidiviste : nombre de ses romans ont obtenu un prix. Le dernier paru, Après la guerre (Rivages 2014), vient de se voir décerner coup sur coup deux nouvelles distinctions.
Nous sommes dans un entre-deux-guerres innommé : l’une est finie et a laissé des séquelles brûlantes, l’autre ne porte pas de nom et ne veut être que lutte contre des terroristes. Trois hommes : un policier pourri, un déporté revenu des camps, un jeune appelé en partance pour l’Algérie. Une ville : Bordeaux. Le revenant a été dénoncé en même temps que sa femme durant la Seconde Guerre mondiale par le flic collabo, le jeune homme est son fils qu’il ne connaît pas. Dans la ville encore meurtrie, André, le revenant, a repris sous une nouvelle identité une vie discrète et ordinaire. Il est de retour pour se venger du commissaire Darlac, qui continue de répandre sa superbe et sa fatuité, menant des enquêtes à son gré et perpétuant un trafic entamé pendant la guerre. D’incidents en incendies, de faux accidents en vrais crimes, le cercle se resserre autour du policier qui ne rechigne toutefois devant aucune infamie pour capturer celui qui le traque et dont il a fait un ennemi public.
Pendant ce temps, en Algérie, Daniel, le fils, est devenu un as de la gâchette, capable de viser et de tuer sans trembler. Mais la brutalité, les viols, les massacres, la mort de l’un de ses amis, c’est plus qu’il ne peut supporter. Déserteur, il est de retour à Bordeaux, là où son père traqué cherche à le rencontrer.
Autour de ces trois personnages s’activent nombre de figures de justes et de lâches, de résistants et de collabos. Les uns tentent de soigner les blessures, de reconstruire leur vie. Les autres profitent encore de juteux trafics, abusant de leur pouvoir, se traquant entre eux, croyant échapper à toute justice.
Il y a beaucoup de désespoir dans ce roman. Et de la vengeance, évidemment. Mais quelle virtuosité pour tenir l’intrigue d’une traque, puis d’une vengeance qui viendra finalement de là où on ne l’attend pas.
Pour lire un bref portrait d’Hervé Le Corre et découvrir ses romans, c’est ici. Et se trouve une présentation fort bien argumentée du roman.

 Autres lieux, plus éloignés, en des temps plus proches. Yeruldelgger (Albin Michel 2013) est le premier roman policier d’un sexagénaire à la plume généreuse, Ian Manook. Et formidable coup de maître pour un coup d’essai : le roman vient d’obtenir le prix du festival lyonnais des Quais du polar.
Nous sommes en Mongolie, tantôt dans les bas-fonds d’Oulan-Bator, tantôt dans les steppes et la taïga, tous magistralement évoqués et décrits. Le commissaire Yeruldelgger mène plusieurs enquêtes de front après l’assassinat de contremaîtres chinois et de prostituées dans un entrepôt de la capitale et la découverte du corps d’une petite fille enterré dans la steppe. Rendu fou de douleur et de rage à la suite de l’enlèvement et de la mort de sa propre enfant quelques années auparavant, il se trouve maintenant confronté à la corruption de ses collègues, à des trafics de toutes sortes pourvoyeurs d’énormes bénéfices, à la violence et au chantage jusque dans sa famille. Mais Yeruldelgger ne lâche rien, jamais. Avec la complicité de quelques policiers intègres, d’une médecin légiste, d’un jeune indic futé, il s’acharne à découvrir les coupables. C’est un personnage démesuré, un justicier, capable de vaincre tous les obstacles, de déjouer les pièges les plus subtils. Pratiquant l’ironie et le sarcasme, il est aussi un défenseur passionné des traditions, l’ardent soutien des plus fragiles.
C’est un roman plein de contrastes, grouillement urbain et vie nomade, banlieues mal famées et yourtes solitaires, cruauté et tendresse, rêves prémonitoires et forces mystérieuses. Dépaysement et frissons assurés !
Ici, l’auteur livre avec humour dix bonnes raisons d’éviter la lecture de son pavé. Et , il répond à une interview à l’occasion de la réception de son prix.

 Cap au nord du Nord. Olivier Truc est journaliste et vit en Suède depuis longtemps. Le dernier Lapon (Métailié 2012, édition de poche 2013) est un époustouflant document sur le peuple sami vivant au-delà du cercle polaire, doublé d’une enquête policière très tendue.
En Laponie, durant l’interminable nuit de l’hiver, un éleveur de rennes est retrouvé assassiné, les oreilles tranchées. Dans le même temps, un précieux tambour de chaman, ramené au pays depuis peu de temps, est volé. Cet objet avait une histoire que seul l’éleveur connaissait.
Un enquêteur sami de la police des rennes et une jeune policière norvégienne tentent de retrouver meurtrier et voleur. Leurs recherches les plongent dans la vie quotidienne d’un peuple tiraillé entre tradition et modernité, entre vie nomade et promesses de profits. En butte au racisme dans une nature qu’ils sont seuls à connaître et à maîtriser, les indigènes lapons tentent de survivre, de se défendre, de se protéger. L’un d’eux, le dernier Lapon, est un personnage solitaire et c’est par lui que sera révélée la très ancienne résistance contre la quête envahissante de bénéfices et l’exploitation de richesses ancestrales.
Dans ce roman magnifique, Olivier Truc parvient à concilier intrigue policière et recherche documentaire. C’est un voyage envoûtant, tant dans l’espace géographique que dans l’histoire et la culture du peuple sami.
Une présentation, une revue de presse et des extraits se trouvent ici et on peut lire un long entretien avec Olivier Truc.

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