Prévoir
confort et ravitaillement ! Mêlant histoire et ethnologie, les polars de
cet été sont des pavés : plus de cinq cents pages chacun. Et tous ont reçu
au moins un prix décerné par des lecteurs. Preuve que les intrigues sont
finement et efficacement tendues. Voici de palpitantes lectures !
Nous
sommes dans un entre-deux-guerres innommé : l’une est finie et a laissé
des séquelles brûlantes, l’autre ne porte pas de nom et ne veut être que lutte
contre des terroristes. Trois hommes : un policier pourri, un déporté
revenu des camps, un jeune appelé en partance pour l’Algérie. Une ville :
Bordeaux. Le revenant a été dénoncé en même temps que sa femme durant la
Seconde Guerre mondiale par le flic collabo, le jeune homme est son fils qu’il
ne connaît pas. Dans la ville encore meurtrie, André, le revenant, a repris
sous une nouvelle identité une vie discrète et ordinaire. Il est de retour pour
se venger du commissaire Darlac, qui continue de répandre sa superbe et sa
fatuité, menant des enquêtes à son gré et perpétuant un trafic entamé pendant
la guerre. D’incidents en incendies, de faux accidents en vrais crimes, le
cercle se resserre autour du policier qui ne rechigne toutefois devant aucune infamie
pour capturer celui qui le traque et dont il a fait un ennemi public.
Pendant
ce temps, en Algérie, Daniel, le fils, est devenu un as de la gâchette, capable
de viser et de tuer sans trembler. Mais la brutalité, les viols, les massacres,
la mort de l’un de ses amis, c’est plus qu’il ne peut supporter. Déserteur, il
est de retour à Bordeaux, là où son père traqué cherche à le rencontrer.
Autour
de ces trois personnages s’activent nombre de figures de justes et de lâches,
de résistants et de collabos. Les uns tentent de soigner les blessures, de
reconstruire leur vie. Les autres profitent encore de juteux trafics, abusant
de leur pouvoir, se traquant entre eux, croyant échapper à toute justice.
Il
y a beaucoup de désespoir dans ce roman. Et de la vengeance, évidemment. Mais
quelle virtuosité pour tenir l’intrigue d’une traque, puis d’une vengeance qui
viendra finalement de là où on ne l’attend pas.
Pour
lire un bref portrait d’Hervé Le Corre et découvrir ses romans, c’est ici. Et là se trouve une
présentation fort bien argumentée du roman.
Autres
lieux, plus éloignés, en des temps plus proches. Yeruldelgger (Albin
Michel 2013) est le premier roman policier d’un sexagénaire à la plume
généreuse, Ian Manook. Et formidable
coup de maître pour un coup d’essai : le roman vient d’obtenir le prix du
festival lyonnais des Quais du polar.
Nous
sommes en Mongolie, tantôt dans les bas-fonds d’Oulan-Bator, tantôt dans les steppes
et la taïga, tous magistralement évoqués et décrits. Le commissaire
Yeruldelgger mène plusieurs enquêtes de front après l’assassinat de contremaîtres
chinois et de prostituées dans un entrepôt de la capitale et la découverte du
corps d’une petite fille enterré dans la steppe. Rendu fou de douleur et de
rage à la suite de l’enlèvement et de la mort de sa propre enfant quelques années
auparavant, il se trouve maintenant confronté à la corruption de ses collègues,
à des trafics de toutes sortes pourvoyeurs d’énormes bénéfices, à la violence
et au chantage jusque dans sa famille. Mais Yeruldelgger ne lâche rien, jamais.
Avec la complicité de quelques policiers intègres, d’une médecin légiste, d’un
jeune indic futé, il s’acharne à découvrir les coupables. C’est un personnage
démesuré, un justicier, capable de vaincre tous les obstacles, de déjouer les
pièges les plus subtils. Pratiquant l’ironie et le sarcasme, il est aussi un défenseur
passionné des traditions, l’ardent soutien des plus fragiles.
C’est
un roman plein de contrastes, grouillement urbain et vie nomade, banlieues mal
famées et yourtes solitaires, cruauté et tendresse, rêves prémonitoires et forces
mystérieuses. Dépaysement et frissons assurés !
Ici, l’auteur livre
avec humour dix bonnes raisons d’éviter la lecture de son pavé. Et là, il répond à
une interview à l’occasion de la réception de son prix.
Cap
au nord du Nord. Olivier Truc est
journaliste et vit en Suède depuis longtemps. Le dernier Lapon (Métailié
2012, édition de poche 2013) est un époustouflant document sur le peuple sami
vivant au-delà du cercle polaire, doublé d’une enquête policière très tendue.
En
Laponie, durant l’interminable nuit de l’hiver, un éleveur de rennes est
retrouvé assassiné, les oreilles tranchées. Dans le même temps, un précieux
tambour de chaman, ramené au pays depuis peu de temps, est volé. Cet objet
avait une histoire que seul l’éleveur connaissait.
Un
enquêteur sami de la police des rennes et une jeune policière norvégienne
tentent de retrouver meurtrier et voleur. Leurs recherches les plongent dans la
vie quotidienne d’un peuple tiraillé entre tradition et modernité, entre vie
nomade et promesses de profits. En butte au racisme dans une nature qu’ils sont
seuls à connaître et à maîtriser, les indigènes lapons tentent de survivre, de
se défendre, de se protéger. L’un d’eux, le dernier Lapon, est un personnage
solitaire et c’est par lui que sera révélée la très ancienne résistance contre
la quête envahissante de bénéfices et l’exploitation de richesses ancestrales.
Dans
ce roman magnifique, Olivier Truc parvient à concilier intrigue policière et
recherche documentaire. C’est un voyage envoûtant, tant dans l’espace
géographique que dans l’histoire et la culture du peuple sami.



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