En
retrait des nouveautés qui paradent plus ou moins brièvement à la une de
l’actualité littéraire, des ouvrages passent inaperçus et méritent pourtant de
trouver leurs lecteurs dans la durée. Citons quelques-uns d’entre eux.
Hubert Mingarelli est un écrivain
des plus discrets. Tout au plus a-t-on entendu parler de lui à l’occasion du
prix Médicis 2003 qui lui a été décerné pour Quatre soldats (Seuil
2003).
Ses
héros lui ressemblent. Sensibles, attachés à ce qui leur est essentiel, un
verre d’eau, la recherche d’une valise perdue. Jamais tonitruants, ils font
preuve d’endurance, d’une force immuable alors qu’ils doutent constamment et
paraissent si fragiles.
L’homme
qui avait soif
(Stock 2014), titre du dernier roman en date de Hubert Mingarelli, est japonais
et se prénomme Hisao. Il quitte la montagne où il a combattu pendant
l’occupation américaine de 1946. Il prend le train pour rejoindre sa fiancée à
laquelle il destine un précieux œuf de jade qu’il transporte dans sa valise. Lors
d’un arrêt, étreint par la soif, il descend sur le quai d’une gare pour se
désaltérer et le train repart sans lui. Désespéré, il entreprend de rejoindre
le terminus du convoi en suivant les rails.
Son
chemin se fait autant par la marche que par les souvenirs qui lui reviennent de
la bataille de Peleliu où il a perdu son ami et depuis laquelle la soif ne le
quitte plus. Comme ne nous quittent pas non plus les héros bouleversants de
chacun des livres de Mingarelli.
Un
entretien – déjà ancien (2008) – avec Hubert Mingarelli à propos de son travail
d’écrivain et de la construction de son œuvre se trouve ici.
Un
autre conflit, plus proche dans le temps et l’espace : la guerre de Bosnie,
menée par le général Mladić. Celle qui donne son titre au roman de Clara Usón, La fille de l’Est
(Gallimard 2014), est Ana Mladić, la fille bien-aimée du général sanguinaire.
Brillante étudiante en médecine à Belgrade, c’est lors d’un voyage à Moscou
avec des amis serbes qu’elle commence à prendre conscience des horreurs
perpétrées contre les Bosniens par les troupes que dirige son père. Elle
rejette d’abord la réalité, puis se prend à douter jusqu’à ne plus pouvoir
reculer devant l’effroyable vérité. Elle se suicide alors, le 24 mars 1994, à
23 ans, avec l’arme fétiche de son père.
Situant
cette guerre en regard de l’épopée historique, Clara Usón s’approche au plus
près des fantasmes de ceux qui prônent la Grande Serbie et massacrent pour la
restaurer. En parallèle, elle montre le profond désarroi des résistants, leur
détermination pour survivre, eux qui n’ont souvent d’autre issue que l’exil ou
le suicide. La fille de l’Est raconte cette immense tragédie encore vive.
Ici, Clara Usón
parle de son travail de romancière, de ses recherches et là se trouvent une
remarquable présentation du roman et une vidéo dont l’auteure s’est inspirée.
Un
dessinateur s’empare de l’œuvre d’un écrivain. L’Argentin José Muñoz illustre L’Etranger d’Albert Camus (Gallimard/Futuropolis 2012).
Ce
bel album n’est pas à proprement parler une bande dessinée. Le texte de Camus
est intégral, découpé en séquences. Les dessins à l’encre de Muñoz apparaissent
sur tout ou partie de la page. L’un et les autres se confrontent,
s’interpellent, se répondent dans une mise en page très originale. Le blanc de
la page, les blocs du texte s’articulent avec les lignes et les à-plats noirs,
avec les blancs du dessin, dans un jeu du noir et du blanc finement travaillé.
Cet
album se découvre comme une œuvre nouvelle, jamais lue, jamais vue. Il apparaît
que Camus
et Muñoz sont confrontés au même soleil brûlant, dans une écriture et une
expression graphique pareillement acérées. Muñoz fait de l’œuvre de Camus,
parue en 1942, une lecture parfaitement accordée à son auteur et en symbiose
avec l’actualité d’aujourd’hui. Il montre que l’œuvre de Camus est totalement
contemporaine, que son humanité ne vieillit pas.
Une
exposition des dessins de José Muñoz pour L’Etranger se trouve ici et là, le dessinateur
évoque son travail dans une courte vidéo.
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