dimanche 28 septembre 2014

DES INAPERÇUS

En retrait des nouveautés qui paradent plus ou moins brièvement à la une de l’actualité littéraire, des ouvrages passent inaperçus et méritent pourtant de trouver leurs lecteurs dans la durée. Citons quelques-uns d’entre eux.

    Hubert Mingarelli est un écrivain des plus discrets. Tout au plus a-t-on entendu parler de lui à l’occasion du prix Médicis 2003 qui lui a été décerné pour Quatre soldats (Seuil 2003).
Ses héros lui ressemblent. Sensibles, attachés à ce qui leur est essentiel, un verre d’eau, la recherche d’une valise perdue. Jamais tonitruants, ils font preuve d’endurance, d’une force immuable alors qu’ils doutent constamment et paraissent si fragiles.
L’homme qui avait soif (Stock 2014), titre du dernier roman en date de Hubert Mingarelli, est japonais et se prénomme Hisao. Il quitte la montagne où il a combattu pendant l’occupation américaine de 1946. Il prend le train pour rejoindre sa fiancée à laquelle il destine un précieux œuf de jade qu’il transporte dans sa valise. Lors d’un arrêt, étreint par la soif, il descend sur le quai d’une gare pour se désaltérer et le train repart sans lui. Désespéré, il entreprend de rejoindre le terminus du convoi en suivant les rails.
Son chemin se fait autant par la marche que par les souvenirs qui lui reviennent de la bataille de Peleliu où il a perdu son ami et depuis laquelle la soif ne le quitte plus. Comme ne nous quittent pas non plus les héros bouleversants de chacun des livres de Mingarelli.
Un entretien – déjà ancien (2008) – avec Hubert Mingarelli à propos de son travail d’écrivain et de la construction de son œuvre se trouve ici.

    Un autre conflit, plus proche dans le temps et l’espace : la guerre de Bosnie, menée par le général Mladić. Celle qui donne son titre au roman de Clara Usón, La fille de l’Est (Gallimard 2014), est Ana Mladić, la fille bien-aimée du général sanguinaire. Brillante étudiante en médecine à Belgrade, c’est lors d’un voyage à Moscou avec des amis serbes qu’elle commence à prendre conscience des horreurs perpétrées contre les Bosniens par les troupes que dirige son père. Elle rejette d’abord la réalité, puis se prend à douter jusqu’à ne plus pouvoir reculer devant l’effroyable vérité. Elle se suicide alors, le 24 mars 1994, à 23 ans, avec l’arme fétiche de son père.
Situant cette guerre en regard de l’épopée historique, Clara Usón s’approche au plus près des fantasmes de ceux qui prônent la Grande Serbie et massacrent pour la restaurer. En parallèle, elle montre le profond désarroi des résistants, leur détermination pour survivre, eux qui n’ont souvent d’autre issue que l’exil ou le suicide. La fille de l’Est raconte cette immense tragédie encore vive.
Ici, Clara Usón parle de son travail de romancière, de ses recherches et se trouvent une remarquable présentation du roman et une vidéo dont l’auteure s’est inspirée.

Un dessinateur s’empare de l’œuvre d’un écrivain. L’Argentin José Muñoz illustre   L’Etranger d’Albert Camus (Gallimard/Futuropolis 2012).
Ce bel album n’est pas à proprement parler une bande dessinée. Le texte de Camus est intégral, découpé en séquences. Les dessins à l’encre de Muñoz apparaissent sur tout ou partie de la page. L’un et les autres se confrontent, s’interpellent, se répondent dans une mise en page très originale. Le blanc de la page, les blocs du texte s’articulent avec les lignes et les à-plats noirs, avec les blancs du dessin, dans un jeu du noir et du blanc finement travaillé.
Cet album se découvre comme une œuvre nouvelle, jamais lue, jamais vue. Il apparaît que Camus et Muñoz sont confrontés au même soleil brûlant, dans une écriture et une expression graphique pareillement acérées. Muñoz fait de l’œuvre de Camus, parue en 1942, une lecture parfaitement accordée à son auteur et en symbiose avec l’actualité d’aujourd’hui. Il montre que l’œuvre de Camus est totalement contemporaine, que son humanité ne vieillit pas.
Une exposition des dessins de José Muñoz pour L’Etranger se trouve ici et , le dessinateur évoque son travail dans une courte vidéo.


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