mercredi 23 septembre 2015

DU CÔTÉ DES PÉNINSULES

Ecrivains d’Italie et de la péninsule ibérique, ils articulent leurs romans aux événements contemporains qui se sont déroulés dans leur pays. Des récits passionnants entre mémoire et histoire.

 Les deux romans de Francesca Melandri, traduits par Danièle Valin, s’organisent autour de l’histoire italienne du XXe siècle.
Le premier, Eva dort (Gallimard 2012, Folio, 2013), raconte la vie de Gerda, une mère courage, et de sa fille Eva. Toutes deux vivent au Tyrol du Sud, dans les années soixante. Dans cette région en pleine lutte séparatiste est déployé un régiment de carabiniers calabrais. Parmi eux, Vito qui s’éprend de Gerda et adopte Eva. Mais, lâche devant la loi militaire, il retourne chez lui et disparaît de la vie d’Eva. Des années plus tard, Eva part le retrouver. Tirant parti de ce voyage du Nord vers le Sud, l’auteure retrace l’histoire politique et sociale du Haut-Adige écartelé par les tragédies du siècle.
Le second roman, Plus haut que la mer (Gallimard 2015), est indirectement lié aux années de plomb. Un homme et une femme qui ne se connaissent pas s’embarquent sur une vedette pénitentiaire qui les conduit vers une île où se trouve une prison de haute sécurité. Luisa va rendre visite à son mari, un homme violent qui a tué à plusieurs reprises. Paolo se rend auprès de son fils, terroriste condamné pour homicides.
Une tempête empêche la traversée de retour. Paolo et Luisa passeront la nuit sur l’île, surveillés par un gardien. Dans ce huis clos, chacun des trois personnages s’interroge sur la violence qui l’a conduit en ce lieu « plus haut que la mer ». Ce qui se passe entre eux n’a rien de spectaculaire. Simplement une sorte de libération et d’apaisement.
Ici, Francesca Melandri parle avec bonheur de ce roman particulièrement empreint d’humanité.

 Alors que l’Italie vit dans l’effroi des années de plomb, le Portugal, la fleur au fusil, se libère de la dictature. Dans un roman particulièrement dense, comme à son habitude, Lidia Jorge retrace la journée du 25 avril 1974. Ceux qu’elle nomme Les Mémorables (Métailié 2015, traduit par Geneviève Leibrich) sont des personnages effacés dont l’action demeurée discrète a permis de mener à bien la révolution des Œillets.
Sur une photo qu’une journaliste a toujours vue dans le bureau de son père se trouvent rassemblés quelques-uns de ces Mémorables. En vue d’une série télévisée historique, elle les rencontre l’un après l’autre, en compagnie de deux collègues. Ces trois journalistes n’ont connu ni la dictature ni la révolution. Ce que les Mémorables ont vécu, ce qu’ils ont fait le 25 avril 1974, ce qu’ils sont devenus, tout cela ne cesse d’interroger la jeune femme. En même temps, elle explore la difficile relation qu’elle entretient avec son père qui a connu tous les Mémorables et qui, comme eux, conserve les regrets des rêves perdus. Par ces personnages, Lidia Jorge tente de réveiller les mémoires endormies, figées, car, écrit-elle,  « les vies servent à ne pas oublier ».
Un passionnant entretien radiophonique entre Kathlenn Evin et Lidia Jorge se trouve ici.

 Le dernier ouvrage de Javier Cercas est une traversée du XXe siècle dans l’autre partie de la péninsule ibérique, l’Espagne.
L’Imposteur (Actes Sud 2015, traduit par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grŭjicic) est un livre très singulier. Il retrace à la fois le parcours d’un faux héros, l’Imposteur, et les doutes, les résistances de l’écrivain face au récit de cette vie de mensonge. L’Imposteur ne se pose pas de questions et usurpe identité et histoire. Il prétend avoir été résistant sous la dictature franquiste, déporté en Allemagne dans un camp nazi. Sûr de lui, s’imposant comme un héros, il occupe des positions en vue qui le flattent. L’écrivain, lui, tergiverse, hésite avant de s’engager, questionne constamment les justifications de ses recherches et de son récit.
En définitive, il s’agit de comprendre l’un et l’autre. Non pour excuser l’un et encourager l’autre. Mais pour faire la part de la vérité et du mensonge, délier l’histoire de la mémoire, nouer réalité et fiction. Ce livre y parvient magistralement. On peut lire ici le premier chapitre de L’Imposteur.

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