Ecrivains
d’Italie et de la péninsule ibérique, ils articulent leurs romans aux
événements contemporains qui se sont déroulés dans leur pays. Des récits
passionnants entre mémoire et histoire.
Les
deux romans de Francesca Melandri,
traduits par Danièle Valin, s’organisent autour de l’histoire italienne du XXe
siècle.
Le
premier, Eva dort (Gallimard 2012, Folio, 2013), raconte la vie de
Gerda, une mère courage, et de sa fille Eva. Toutes deux vivent au Tyrol du
Sud, dans les années soixante. Dans cette région en pleine lutte séparatiste
est déployé un régiment de carabiniers calabrais. Parmi eux, Vito qui s’éprend
de Gerda et adopte Eva. Mais, lâche devant la loi militaire, il retourne chez
lui et disparaît de la vie d’Eva. Des années plus tard, Eva part le retrouver.
Tirant parti de ce voyage du Nord vers le Sud, l’auteure retrace l’histoire
politique et sociale du Haut-Adige écartelé par les tragédies du siècle.
Le
second roman, Plus haut que la mer (Gallimard 2015), est indirectement lié
aux années de plomb. Un homme et une femme qui ne se connaissent pas
s’embarquent sur une vedette pénitentiaire qui les conduit vers une île où se
trouve une prison de haute sécurité. Luisa va rendre visite à son mari, un
homme violent qui a tué à plusieurs reprises. Paolo se rend auprès de son fils,
terroriste condamné pour homicides.
Une
tempête empêche la traversée de retour. Paolo et Luisa passeront la nuit sur
l’île, surveillés par un gardien. Dans ce huis clos, chacun des trois
personnages s’interroge sur la violence qui l’a conduit en ce lieu « plus
haut que la mer ». Ce qui se passe entre eux n’a rien de spectaculaire. Simplement
une sorte de libération et d’apaisement.
Ici, Francesca Melandri
parle avec bonheur de ce roman particulièrement empreint d’humanité.
Alors
que l’Italie vit dans l’effroi des années de plomb, le Portugal, la fleur au
fusil, se libère de la dictature. Dans un roman particulièrement dense, comme à
son habitude, Lidia Jorge retrace la
journée du 25 avril 1974. Ceux qu’elle nomme Les Mémorables (Métailié
2015, traduit par Geneviève Leibrich) sont des personnages effacés dont
l’action demeurée discrète a permis de mener à bien la révolution des Œillets.
Sur
une photo qu’une journaliste a toujours vue dans le bureau de son père se
trouvent rassemblés quelques-uns de ces Mémorables. En vue d’une série
télévisée historique, elle les rencontre l’un après l’autre, en compagnie de
deux collègues. Ces trois journalistes n’ont connu ni la dictature ni la
révolution. Ce que les Mémorables ont vécu, ce qu’ils ont fait le 25 avril 1974,
ce qu’ils sont devenus, tout cela ne cesse d’interroger la jeune femme. En même
temps, elle explore la difficile relation qu’elle entretient avec son père qui
a connu tous les Mémorables et qui, comme eux, conserve les regrets des rêves
perdus. Par ces personnages, Lidia Jorge tente de réveiller les mémoires
endormies, figées, car, écrit-elle, « les
vies servent à ne pas oublier ».
Le
dernier ouvrage de Javier Cercas est
une traversée du XXe siècle dans l’autre partie de la péninsule ibérique,
l’Espagne.
L’Imposteur (Actes Sud 2015, traduit par Elisabeth Beyer
et Aleksandar Grŭjicic) est un livre très singulier. Il retrace à la fois le
parcours d’un faux héros, l’Imposteur, et les doutes, les résistances de
l’écrivain face au récit de cette vie de mensonge. L’Imposteur ne se pose pas
de questions et usurpe identité et histoire. Il prétend avoir été résistant
sous la dictature franquiste, déporté en Allemagne dans un camp nazi. Sûr de
lui, s’imposant comme un héros, il occupe des positions en vue qui le flattent.
L’écrivain, lui, tergiverse, hésite avant de s’engager, questionne constamment
les justifications de ses recherches et de son récit.
En
définitive, il s’agit de comprendre l’un et l’autre. Non pour excuser l’un et
encourager l’autre. Mais pour faire la part de la vérité et du mensonge, délier
l’histoire de la mémoire, nouer réalité et fiction. Ce livre y parvient magistralement. On
peut lire ici le premier chapitre de L’Imposteur.
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