DES INAPERÇUS
Ce sont
des ouvrages discrètement parus, restés dans l’ombre. Ils n’ont pas soulevé
l’enthousiasme des critiques ni occupé longuement les pages des revues. Ils ne
figurent pas au palmarès de la renommée littéraire. Et pourtant… !
Quelques découvertes.
Celui qui mérite le plus d’attention est un
premier roman : Idaho, d’Emily Ruskovich, traduit de
l’américain par Simon Baril (Editions Gallmeister 2018). L’intrigue est un
vrai puzzle qui se déroule entre 1973 et 2025, dans des allers et retours
continuels. Mais le lien est assuré par une femme, Ann, qui est la gardienne de
la mémoire des événements et de la douleur des protagonistes.
C’est une tragédie qui a détruit une
famille : dans un mouvement de violence, Jenny tue sa plus jeune enfant sous
les yeux de son aînée qui s’enfuit et ne sera jamais retrouvée. Elle est
condamnée à perpétuité, divorcée de son mari, Wade, lequel épouse Ann,
professeure de musique. Cette dernière tente de cerner les circonstances du
malheur, tandis que l’esprit de Wade s’égare dans une démence précoce. Ann
cherche, persiste, contourne, protège, rassure, enquête, n’a de cesse de
déceler des indices, de conserver de la tendresse là où l’humanité s’efface.
Ce roman explore les sentiments avec une
infinie délicatesse, sans chercher l’attendrissement. Il évoque la nature
autant que la douleur dans une écriture ciselée, poétique, qui témoigne d’une
grande maturité à la fois du talent de l’auteure et de sa capacité à décrire
l’humain.
Les trente
premières pages de Idaho sont disponibles à la lecture sur le
site des éditions Gallmeister.
Celui qui fait mémoire d’un monde disparu est
le roman autobiographique de Iouri Bouïda, Voleur, espion et assassin,
traduit du russe par Sophie Benech (Gallimard 2018). Né en 1954 dans
la région de Kaliningrad, l’auteur grandit entre misère et débrouillardise,
innocence et violence, observant toutes les situations avec un rare sens du
burlesque. La lecture est le phare de son enfance et de sa jeunesse. Devenu
journaliste, membre du Parti, il est rédacteur en chef d’un quotidien local et
chargé de communication du comité régional du Parti. Il observe de l’intérieur
ce qu’il voudrait transcrire en d’autres termes que ceux autorisés par son
métier et sa fonction. S’obstinant à développer sa propre pensée et une
expression originale, il réalise son rêve et devient écrivain.
Dans le regard de l’enfant puis de l’adulte,
c’est une période de l’histoire qui apparaît. De la fin des années staliniennes
jusqu’à la perestroïka, personnages truculents et scènes tragicomiques montrent
une vie où se mêlent laideur, violence, alcoolisme, pauvreté. Au cœur de cette
fresque d’une époque se révèle « l’âme russe », sa joie de vivre et
ses délires, sa mélancolie et ses rêves, ses fantasmes et son ironie.
Le train zéro (Gallimard
2012/collection L’Imaginaire) est le premier roman de Iouri Bouïda traduit
du russe par Sophie Benech, qui fut remarqué lors de sa parution en l998. Il
est longuement présenté ici,
accompagné de plusieurs extraits.
Celui qui nous emmène dans un labyrinthe est
la Suite vénitienne d’Alberto Ongaro, traduit de l’italien par
Jean-Luc Nardone et Jacqueline Malherbe-Gaaly (Editions Anacharsis 2018).
Alberto Ongaro a été le compagnon de route de Hugo Pratt. C’est à Venise, où il
est né et a résidé jusqu’à sa mort à 93 ans au printemps 2018, qu’il situe
l’intrigue de l’un de ses derniers romans.
Compositeur de musiques de films, Francesco
Soria surprend sur sa ligne téléphonique une conversation dont il ne capte que
les paroles de l’interlocutrice. Celle-ci implore de son correspondant un
rendez-vous auquel Soria décide de se rendre pour mettre un visage sur la voix
qui l’a troublé. De filature en observation, il se découvre voisin de la belle
inconnue. Alors que l’un de ses amis est assassiné, il aperçoit la jeune femme
lors des obsèques de la victime. Son ami était-il l’homme attendu au
rendez-vous ? Cette femme serait-elle sa meurtrière ? Tout en
composant une nouvelle musique pour un film à suspens, Francesco Soria
échafaude nombre d’hypothèses, fondées sur des hasards et des coïncidences,
pour tenter de répondre aux questions qui l’obsèdent. Le dénouement de
l’affaire le soulage, sans toutefois le tirer du dédale de ses déambulations
mentales.
Venise est le cadre rêvé de cette énigme, les
personnages du roman, représentants de la haute société transalpine et
d’anciennes familles vénitiennes, piquants de vérité, les méandres de la pensée
du héros, tout cela compose un roman savoureux qui semble avoir été écrit avec
une évidente délectation.
Le premier chapitre
est proposé à la lecture sur le site des éditions Anacharsis où figure
également une fine
critique fort convaincante
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