jeudi 20 septembre 2018


DES INAPERÇUS  

Ce sont des ouvrages discrètement parus, restés dans l’ombre. Ils n’ont pas soulevé l’enthousiasme des critiques ni occupé longuement les pages des revues. Ils ne figurent pas au palmarès de la renommée littéraire. Et pourtant… ! Quelques découvertes.

 Celui qui mérite le plus d’attention est un premier roman : Idaho, d’Emily Ruskovich, traduit de l’américain par Simon Baril (Editions Gallmeister 2018). L’intrigue est un vrai puzzle qui se déroule entre 1973 et 2025, dans des allers et retours continuels. Mais le lien est assuré par une femme, Ann, qui est la gardienne de la mémoire des événements et de la douleur des protagonistes.
C’est une tragédie qui a détruit une famille : dans un mouvement de violence, Jenny tue sa plus jeune enfant sous les yeux de son aînée qui s’enfuit et ne sera jamais retrouvée. Elle est condamnée à perpétuité, divorcée de son mari, Wade, lequel épouse Ann, professeure de musique. Cette dernière tente de cerner les circonstances du malheur, tandis que l’esprit de Wade s’égare dans une démence précoce. Ann cherche, persiste, contourne, protège, rassure, enquête, n’a de cesse de déceler des indices, de conserver de la tendresse là où l’humanité s’efface.
Ce roman explore les sentiments avec une infinie délicatesse, sans chercher l’attendrissement. Il évoque la nature autant que la douleur dans une écriture ciselée, poétique, qui témoigne d’une grande maturité à la fois du talent de l’auteure et de sa capacité à décrire l’humain.
Les trente premières pages de Idaho sont disponibles à la lecture sur le site des éditions Gallmeister.


 Celui qui fait mémoire d’un monde disparu est le roman autobiographique de Iouri Bouïda, Voleur, espion et assassin, traduit du russe par Sophie Benech (Gallimard 2018). Né en 1954 dans la région de Kaliningrad, l’auteur grandit entre misère et débrouillardise, innocence et violence, observant toutes les situations avec un rare sens du burlesque. La lecture est le phare de son enfance et de sa jeunesse. Devenu journaliste, membre du Parti, il est rédacteur en chef d’un quotidien local et chargé de communication du comité régional du Parti. Il observe de l’intérieur ce qu’il voudrait transcrire en d’autres termes que ceux autorisés par son métier et sa fonction. S’obstinant à développer sa propre pensée et une expression originale, il réalise son rêve et devient écrivain.
Dans le regard de l’enfant puis de l’adulte, c’est une période de l’histoire qui apparaît. De la fin des années staliniennes jusqu’à la perestroïka, personnages truculents et scènes tragicomiques montrent une vie où se mêlent laideur, violence, alcoolisme, pauvreté. Au cœur de cette fresque d’une époque se révèle « l’âme russe », sa joie de vivre et ses délires, sa mélancolie et ses rêves, ses fantasmes et son ironie.
Le train zéro (Gallimard 2012/collection L’Imaginaire) est le premier roman de Iouri Bouïda traduit du russe par Sophie Benech, qui fut remarqué lors de sa parution en l998. Il est longuement présenté ici, accompagné de plusieurs extraits.

 Celui qui nous emmène dans un labyrinthe est la Suite vénitienne d’Alberto Ongaro, traduit de l’italien par Jean-Luc Nardone et Jacqueline Malherbe-Gaaly (Editions Anacharsis 2018). Alberto Ongaro a été le compagnon de route de Hugo Pratt. C’est à Venise, où il est né et a résidé jusqu’à sa mort à 93 ans au printemps 2018, qu’il situe l’intrigue de l’un de ses derniers romans.
Compositeur de musiques de films, Francesco Soria surprend sur sa ligne téléphonique une conversation dont il ne capte que les paroles de l’interlocutrice. Celle-ci implore de son correspondant un rendez-vous auquel Soria décide de se rendre pour mettre un visage sur la voix qui l’a troublé. De filature en observation, il se découvre voisin de la belle inconnue. Alors que l’un de ses amis est assassiné, il aperçoit la jeune femme lors des obsèques de la victime. Son ami était-il l’homme attendu au rendez-vous ? Cette femme serait-elle sa meurtrière ? Tout en composant une nouvelle musique pour un film à suspens, Francesco Soria échafaude nombre d’hypothèses, fondées sur des hasards et des coïncidences, pour tenter de répondre aux questions qui l’obsèdent. Le dénouement de l’affaire le soulage, sans toutefois le tirer du dédale de ses déambulations mentales.
Venise est le cadre rêvé de cette énigme, les personnages du roman, représentants de la haute société transalpine et d’anciennes familles vénitiennes, piquants de vérité, les méandres de la pensée du héros, tout cela compose un roman savoureux qui semble avoir été écrit avec une évidente délectation.
Le premier chapitre est proposé à la lecture sur le site des éditions Anacharsis où figure également une fine critique fort convaincante


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