PASSER L’HIVER
Evénements du monde, histoire familiale,
les livres rapportent le récit de la vie comme elle va. Les écrivains
s’emparent des faits, la fiction comble les failles et s’adapte à la réalité.
La vie, les péripéties, le malheur inspirent de grands romans. Trois beaux
hommages à ceux qui ont vécu, pour passer l’hiver.
Née à Créteil mais fille des Antilles, Estelle-Sarah
Bulle offre avec Là où les chiens aboient par la queue (Liana
Levi 2018) un roman réjouissant. Tiraillée entre deux identités, elle narre
trois quarts de siècle de vie, d’abord en Guadeloupe entre campagne et ville,
puis en métropole où il faut apprendre à vivre différemment. Elle retrace
l’histoire de sa famille, avec sa tante Antoine, figure de proue du vaisseau
Ezechiel. Cette femme défend âprement son indépendance, tient boutique en
ville, trafique dans les Caraïbes et devient maquerelle en métropole. Sa sœur
Lucinde est couturière réputée à Pointe-à-Pitre avant de devenir fonctionnaire
à Paris. Quant à Petit-Frère, le père de la narratrice, il sera infirmier
psychiatrique en région parisienne.
La misère côtoie la frivolité, la magie
copine avec la religion, les violences sont tues et l’espoir d’une vie
meilleure habite tous les esprits. C’est enjoué, tragique, sensible, échevelé,
inattendu, humain.
Ici
se trouvent une critique très argumentée et un lien pour la lecture de quelques
pages du roman.
Lorsque Stefan Hertmans s’installe
dans sa résidence vauclusienne de Monieux, il n’imagine pas à quel point sa vie
va être bouleversée. Un voisin attire son attention sur un document citant un
pogrom qui a déchiré le village au XIe siècle. C’est le point de départ d’un
roman brillant et généreux, Le cœur converti (traduit du néerlandais
par Isabelle Rosselin, Gallimard 2018).
L’auteur y retrace la vie d’une jeune
normande amoureuse de David, un étudiant de la yeshiva de Rouen. Les deux
amants s’enfuient, déjouent les pièges de leurs poursuivants et parviennent à
rejoindre Narbonne où vivent les parents du jeune homme. Vigdis, la jeune
fille, se convertit au judaïsme, se prénomme désormais Hamoutal et épouse
David. Mais la sécurité est fragile et le couple trouve refuge dans le petit
village de Monieux où vit une communauté juive. C’est là que naîtront leurs
enfants, que tous vivront paisiblement avant d’être emportés, massacrés,
enlevés dans la tourmente de la première Croisade. Hamoutal survit au massacre
et part à la recherche de ses enfants. Elle voyagera seule, misérable, jusqu’en
Egypte.
A partir d’une très ancienne lettre de
recommandation découverte dans une synagogue du Caire, Stefan Hertmans mêle
dans ce roman deux histoires. Celle de David et Hamoutal, leur vie, leur
périple à la recherche d’un refuge et la quête d’Hamoutal après le pogrom. Et
sa propre histoire d’auteur relatant ses recherches dans les documents, ses
voyages dans les pas du couple, sa quête des traces de la communauté juive à
Monieux. C’est passionnant et magistralement mené.
Dans Trois enfants du tumulte (Mercure
de France 2018), Yves Bichet propose autre chose qu’un témoignage
supplémentaire sur le mois de mai 1968. Ses personnages singuliers sont des
enfants perdus dans leurs rêves, dans leurs révoltes, dans leurs espoirs. Il se
trouve que Mai 68 est ici le cadre de leur rébellion, mais cela aurait pu être
ailleurs, plus tôt, plus tard. C’est une manière de roman universel qu’a écrit
Yves Bichet, sincère et bienveillant.
L’auteur rapporte des faits qui se sont
réellement passés. Il s’appuie sur les documents, démonte les mécanismes. Une
manifestation à laquelle participent étudiants et ouvriers se déroule à Lyon.
Un camion force les barrages et semble percuter un commissaire de police qui
mourra quelques heures plus tard. On ne connaîtra jamais avec certitude la
cause de sa mort. De présumés coupables sont arrêtés, jugés, finalement
acquittés. Mais la suspicion demeure, la traque ne s’arrête pas. Il faut que
vengeance se fasse. Les révoltés fuient, se cachent, entrent en clandestinité.
Parmi eux, Mila, une rebelle, compagne de Théo. Il est un peu journaliste, un
peu enquêteur. Très révolté lui aussi, il protégera ses amis envers et contre
tout, même contre lui-même.
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