jeudi 20 décembre 2018


PASSER L’HIVER

Evénements du monde, histoire familiale, les livres rapportent le récit de la vie comme elle va. Les écrivains s’emparent des faits, la fiction comble les failles et s’adapte à la réalité. La vie, les péripéties, le malheur inspirent de grands romans. Trois beaux hommages à ceux qui ont vécu, pour passer l’hiver.


  Née à Créteil mais fille des Antilles, Estelle-Sarah Bulle offre avec Là où les chiens aboient par la queue (Liana Levi 2018) un roman réjouissant. Tiraillée entre deux identités, elle narre trois quarts de siècle de vie, d’abord en Guadeloupe entre campagne et ville, puis en métropole où il faut apprendre à vivre différemment. Elle retrace l’histoire de sa famille, avec sa tante Antoine, figure de proue du vaisseau Ezechiel. Cette femme défend âprement son indépendance, tient boutique en ville, trafique dans les Caraïbes et devient maquerelle en métropole. Sa sœur Lucinde est couturière réputée à Pointe-à-Pitre avant de devenir fonctionnaire à Paris. Quant à Petit-Frère, le père de la narratrice, il sera infirmier psychiatrique en région parisienne.
La misère côtoie la frivolité, la magie copine avec la religion, les violences sont tues et l’espoir d’une vie meilleure habite tous les esprits. C’est enjoué, tragique, sensible, échevelé, inattendu, humain.
Ici se trouvent une critique très argumentée et un lien pour la lecture de quelques pages du roman.

  Lorsque Stefan Hertmans s’installe dans sa résidence vauclusienne de Monieux, il n’imagine pas à quel point sa vie va être bouleversée. Un voisin attire son attention sur un document citant un pogrom qui a déchiré le village au XIe siècle. C’est le point de départ d’un roman brillant et généreux, Le cœur converti (traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin, Gallimard 2018).
L’auteur y retrace la vie d’une jeune normande amoureuse de David, un étudiant de la yeshiva de Rouen. Les deux amants s’enfuient, déjouent les pièges de leurs poursuivants et parviennent à rejoindre Narbonne où vivent les parents du jeune homme. Vigdis, la jeune fille, se convertit au judaïsme, se prénomme désormais Hamoutal et épouse David. Mais la sécurité est fragile et le couple trouve refuge dans le petit village de Monieux où vit une communauté juive. C’est là que naîtront leurs enfants, que tous vivront paisiblement avant d’être emportés, massacrés, enlevés dans la tourmente de la première Croisade. Hamoutal survit au massacre et part à la recherche de ses enfants. Elle voyagera seule, misérable, jusqu’en Egypte.
A partir d’une très ancienne lettre de recommandation découverte dans une synagogue du Caire, Stefan Hertmans mêle dans ce roman deux histoires. Celle de David et Hamoutal, leur vie, leur périple à la recherche d’un refuge et la quête d’Hamoutal après le pogrom. Et sa propre histoire d’auteur relatant ses recherches dans les documents, ses voyages dans les pas du couple, sa quête des traces de la communauté juive à Monieux. C’est passionnant et magistralement mené.
On peut lire quelques pages du roman et suivre un long entretien avec Stefan Hertmans.

  Dans Trois enfants du tumulte (Mercure de France 2018), Yves Bichet propose autre chose qu’un témoignage supplémentaire sur le mois de mai 1968. Ses personnages singuliers sont des enfants perdus dans leurs rêves, dans leurs révoltes, dans leurs espoirs. Il se trouve que Mai 68 est ici le cadre de leur rébellion, mais cela aurait pu être ailleurs, plus tôt, plus tard. C’est une manière de roman universel qu’a écrit Yves Bichet, sincère et bienveillant.
L’auteur rapporte des faits qui se sont réellement passés. Il s’appuie sur les documents, démonte les mécanismes. Une manifestation à laquelle participent étudiants et ouvriers se déroule à Lyon. Un camion force les barrages et semble percuter un commissaire de police qui mourra quelques heures plus tard. On ne connaîtra jamais avec certitude la cause de sa mort. De présumés coupables sont arrêtés, jugés, finalement acquittés. Mais la suspicion demeure, la traque ne s’arrête pas. Il faut que vengeance se fasse. Les révoltés fuient, se cachent, entrent en clandestinité. Parmi eux, Mila, une rebelle, compagne de Théo. Il est un peu journaliste, un peu enquêteur. Très révolté lui aussi, il protégera ses amis envers et contre tout, même contre lui-même.
On peut écouter Yves Bichet qui présente son roman et lire quelques pages.

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