dimanche 22 septembre 2019


A  DÉCOUVRIR

Éclairage sur des romanciers méconnus, de grand talent, dont l’œuvre intelligente, originale, sensible mérite que l’on s’y attarde.

  Difficile de choisir parmi les romans de Lionel Salaün. Tous sont de grande qualité, d’une écriture ample, rigoureuse, riche. Tous sont empreints d’humanité. Tous parlent de retour, après la guerre, après la violence, après une trahison. Et tous évoquent l’Amérique, sauf Bel-Air (Editions Liana Levi 2013, collection Piccolo 2015), dont l’action se situe dans une ville française, dans le courant des années 1950. Le Bel-Air est un bar où rugissent toutes sortes d’éclats, ceux du racisme, ceux du juke-box, ceux des jeunes qui le fréquentent et se prennent pour Marlon Brando. Il faut bien ça pour tenter de s’infiltrer dans les beaux quartiers, quitte à devenir délinquant et à se retrouver derrière les barreaux.
La passion de Lionel Salaün, c’est l’Amérique, sa musique, son cinéma, sa littérature, ses paysages. Trois autres romans se déroulent aux Etats-Unis, en Oklahoma ou sur les rives du Mississippi. Le plus récent, Whitesand (Actes Sud 2019) se situe au début des années 70 lorsqu’un inconnu arrive dans un village perdu au volant d’une Mustang déglinguée qui tombe en panne. Demeurant à distance du mépris manifesté à l’étranger qu’il est, Ray Harper se lie avec la serveuse du bar et s’approche d’une famille propriétaire du domaine de Whitesand. C’est là qu’il trouvera la clé du mystère de ses origines, mêlées à la tragédie du racisme.
Le premier roman de Lionel Salaün, Le retour de Jim Lamar (Editions Liana Levi 2010, collection Piccolo 2016) raconte le retour d’un rescapé de la guerre du Vietnam. Lorsque, treize ans après la fin de la guerre, Jim Lamar revient enfin au village, la ferme de ses parents a été dévastée. Il s’y réinstalle tant bien que mal, noue des liens avec Billy, un adolescent, ignorant l’hostilité ambiante qui finira tout de même par le chasser de chez lui.
La terre des Wilson (Editions Liana Levi 2016) est le roman de la Grande Dépression qui voit, dans les années 1930, les terres sacrifiées à la recherche pétrolière. Enfant, face à la violence de son père, Dick Wilson a fui le domaine avec sa mère. Il y revient quinze ans plus tard, soucieux de faire fortune avec l’or noir et le trafic d’alcool. Soucieux aussi d’honorer la mémoire de sa mère et de préserver la nouvelle famille de son père de la brutalité de ce dernier.
Les romans de Lionel Salaün déroulent des vies ordinaires, dans des paysages arides, où violence et racisme se mêlent à la misère, mais où la vengeance côtoie la droiture. Leurs parentés ne les rendent pas semblables et chacun a sa propre originalité.
Une courte biographie de Lionel Salaün est ici et l’auteur présente en vidéo ses trois premiers romans.

  Le talent d’Alina Bronsky est de traiter la tragédie avec légèreté. Le dernier amour de Baba Dounia (traduit de l’allemand par Isabelle Liber, Actes Sud 2019) est le récit de la réinstallation clandestine des habitants d’un village proche de Tchernobyl. Ils sont quelques-uns, des anciens, à être revenus à Tchernova. La vie se déroule plus ou moins sereinement, selon les jours et les caractères bien trempés de chacun, entre les quelques visites de médias étrangers et les rares passages des contrôleurs sanitaires. Baba Dounia, vieille solitaire originale, vaillante et malicieuse, a été la première à revenir chez elle. Elle reçoit lettres et colis de sa fille médecin installée en Allemagne. Puis un jour, une lettre de sa petite-fille qu’elle n’a jamais rencontrée, courrier qu’elle ne peut lire puisqu’il est rédigé dans une langue qui lui est inconnue.
Lorsqu’arrive au village un père de famille avec sa jeune enfant, Baba Dounia lui intime l’ordre de s’en aller, soutenue de façon inattendue et définitive par l’un de ses voisins. Alors sa vie prend un tour imprévu qu’elle assume avec dignité et humour. Jusqu’à ce qu’elle puisse revenir chez elle.
C’est bien sûr l’âme russe qui transparaît dans les personnages d’Alina Bronsky, une façon de traiter le malheur par la dérision.
Une présentation de ce roman émouvant et drôle est ici.

  S’appuyant sur des événements de l’histoire récente, Eric Plamondon construit des romans à suspense, tendus vers un dénouement toujours surprenant. Dans Taqawan (Quidam Editeur 2018/Le Livre de poche 2019), il rappelle l’intrusion violente de plusieurs centaines de policiers dans les réserves canadiennes de Restigouche pour séquestrer les filets des Indiens mi’gmaq et ainsi les empêcher de pratiquer la pêche au saumon qui leur permet de vivre. Peu après, Océane, une adolescente de la tribu, disparaît. La fuite, le viol, l’effroi et toutes sortes de violences se mêlent, dans le récit, à l’histoire de la colonisation du Québec, à l’ethnologie, à la politique et révèlent contradictions et compromissions.
Oyana (Quidam Editeur 2019), le roman le plus récent de l’auteur, évoque l’ETA espagnole jusqu’à sa dissolution en 2019. Oyana est la fille d’un militant qui faisait partie du commande Ogro, responsable de l’assassinat de Carrero Blanco en 1973. Elle-même engagée dans l’organisation, elle a participé à un attentat causant la mort d’une femme et de son enfant. Elle a fui au Mexique, puis s’est installée au Québec, avec un compagnon, Xavier.
Apprenant la dissolution de l’ETA, c’est à lui qu’elle destine une lettre pour tenter de lui expliquer les raisons pour lesquelles elle le quitte et retourne en Espagne. Mais le départ est difficile et le retour plein de dangers insoupçonnés.
Des critiques très pertinentes présentent ici Taqawan et Oyana.


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