A
DÉCOUVRIR
Éclairage sur des romanciers méconnus, de grand
talent, dont l’œuvre intelligente, originale, sensible mérite que l’on s’y
attarde.
Difficile de choisir parmi les romans de Lionel
Salaün. Tous sont de grande qualité, d’une écriture ample, rigoureuse,
riche. Tous sont empreints d’humanité. Tous parlent de retour, après la guerre,
après la violence, après une trahison. Et tous évoquent l’Amérique, sauf Bel-Air
(Editions Liana Levi 2013, collection Piccolo 2015), dont l’action se
situe dans une ville française, dans le courant des années 1950. Le Bel-Air est
un bar où rugissent toutes sortes d’éclats, ceux du racisme, ceux du juke-box,
ceux des jeunes qui le fréquentent et se prennent pour Marlon Brando. Il faut
bien ça pour tenter de s’infiltrer dans les beaux quartiers, quitte à devenir
délinquant et à se retrouver derrière les barreaux.
La passion de Lionel Salaün, c’est
l’Amérique, sa musique, son cinéma, sa littérature, ses paysages. Trois autres
romans se déroulent aux Etats-Unis, en Oklahoma ou sur les rives du
Mississippi. Le plus récent, Whitesand (Actes Sud 2019) se situe
au début des années 70 lorsqu’un inconnu arrive dans un village perdu au volant
d’une Mustang déglinguée qui tombe en panne. Demeurant à distance du mépris
manifesté à l’étranger qu’il est, Ray Harper se lie avec la serveuse du bar et
s’approche d’une famille propriétaire du domaine de Whitesand. C’est là qu’il
trouvera la clé du mystère de ses origines, mêlées à la tragédie du racisme.
Le premier roman de Lionel Salaün, Le
retour de Jim Lamar (Editions Liana Levi 2010, collection Piccolo 2016)
raconte le retour d’un rescapé de la guerre du Vietnam. Lorsque, treize ans
après la fin de la guerre, Jim Lamar revient enfin au village, la ferme de ses
parents a été dévastée. Il s’y réinstalle tant bien que mal, noue des liens
avec Billy, un adolescent, ignorant l’hostilité ambiante qui finira tout de
même par le chasser de chez lui.
La terre des Wilson (Editions Liana Levi
2016)
est le roman de la Grande Dépression qui voit, dans les années 1930, les terres
sacrifiées à la recherche pétrolière. Enfant, face à la violence de son père,
Dick Wilson a fui le domaine avec sa mère. Il y revient quinze ans plus tard,
soucieux de faire fortune avec l’or noir et le trafic d’alcool. Soucieux aussi
d’honorer la mémoire de sa mère et de préserver la nouvelle famille de son père
de la brutalité de ce dernier.
Les romans de Lionel Salaün déroulent des
vies ordinaires, dans des paysages arides, où violence et racisme se mêlent à la
misère, mais où la vengeance côtoie la droiture. Leurs parentés ne les rendent
pas semblables et chacun a sa propre originalité.
Une courte biographie de Lionel Salaün est ici et là l’auteur présente en vidéo
ses trois premiers romans.
Le talent d’Alina Bronsky est de
traiter la tragédie avec légèreté. Le dernier amour de Baba Dounia
(traduit de l’allemand par Isabelle Liber, Actes Sud 2019) est le récit de
la réinstallation clandestine des habitants d’un village proche de Tchernobyl.
Ils sont quelques-uns, des anciens, à être revenus à Tchernova. La vie se
déroule plus ou moins sereinement, selon les jours et les caractères bien
trempés de chacun, entre les quelques visites de médias étrangers et les rares
passages des contrôleurs sanitaires. Baba Dounia, vieille solitaire originale,
vaillante et malicieuse, a été la première à revenir chez elle. Elle reçoit
lettres et colis de sa fille médecin installée en Allemagne. Puis un jour, une
lettre de sa petite-fille qu’elle n’a jamais rencontrée, courrier qu’elle ne
peut lire puisqu’il est rédigé dans une langue qui lui est inconnue.
Lorsqu’arrive au village un père de famille
avec sa jeune enfant, Baba Dounia lui intime l’ordre de s’en aller, soutenue de
façon inattendue et définitive par l’un de ses voisins. Alors sa vie prend un
tour imprévu qu’elle assume avec dignité et humour. Jusqu’à ce qu’elle puisse
revenir chez elle.
C’est bien sûr l’âme russe qui transparaît
dans les personnages d’Alina Bronsky, une façon de traiter le malheur par la
dérision.
Une présentation de ce roman émouvant et
drôle est ici.
S’appuyant sur des événements de l’histoire
récente, Eric Plamondon construit des romans à suspense, tendus vers un
dénouement toujours surprenant. Dans Taqawan (Quidam Editeur 2018/Le
Livre de poche 2019), il rappelle l’intrusion violente de plusieurs
centaines de policiers dans les réserves canadiennes de Restigouche pour
séquestrer les filets des Indiens mi’gmaq et ainsi les empêcher de pratiquer la
pêche au saumon qui leur permet de vivre. Peu après, Océane, une adolescente de
la tribu, disparaît. La fuite, le viol, l’effroi et toutes sortes de violences
se mêlent, dans le récit, à l’histoire de la colonisation du Québec, à
l’ethnologie, à la politique et révèlent contradictions et compromissions.
Oyana (Quidam Editeur 2019), le roman le plus
récent de l’auteur, évoque l’ETA espagnole jusqu’à sa dissolution en 2019.
Oyana est la fille d’un militant qui faisait partie du commande Ogro,
responsable de l’assassinat de Carrero Blanco en 1973. Elle-même engagée dans
l’organisation, elle a participé à un attentat causant la mort d’une femme et
de son enfant. Elle a fui au Mexique, puis s’est installée au Québec, avec un
compagnon, Xavier.
Apprenant la dissolution de l’ETA, c’est à
lui qu’elle destine une lettre pour tenter de lui expliquer les raisons pour
lesquelles elle le quitte et retourne en Espagne. Mais le départ est difficile
et le retour plein de dangers insoupçonnés.
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