« La
réforme des retraites ouvre une ère d’une cinquantaine d’années d’incertitude
et de complexité »
L’économiste Michaël Zemmour et un expert de la
Sécurité sociale observent, dans une tribune au « Monde », qu’aux
termes mêmes de la loi il n’y aura pas de système unique avant un futur
lointain et hypothétique… autour de 2070.
Puisque le
gouvernement a choisi de recourir à l’alinéa 3 de l’article 49 de la
Constitution pour faire adopter sans vote le projet de loi portant sur la
réforme des retraites, il est temps de dresser un portrait-robot de la réforme
telle qu’elle pourrait s’appliquer si le processus législatif était conduit à
son terme.
En effet, la
réforme que nous pourrions bientôt voir à l’œuvre est bien différente de
l’image d’Epinal d’un système simple, unique et universel. Les mesures les plus
contestées (réforme paramétrique, étatisation, règle d’or) commenceraient à
être mises en œuvre avant même la prochaine présidentielle.
En revanche,
aux termes mêmes de la loi, il n’y aura pas de système unique avant un futur
très lointain et hypothétique, autour de 2070. Autrement dit, la réforme ne met
pas en place un nouveau système de retraites, mais ouvre une nouvelle ère,
d’une cinquantaine d’années, faite d’incertitude et de complexité, que l’on
pourrait baptiser « la transition permanente ».
Reprenons la
chronologie des évolutions prévues par la loi, que l’on peut regrouper en trois
phases.
Une baisse de droits de 300 euros par mois
La première
phase serait une phase d’étatisation et de plans d’économies. Dès 2022,
l’ensemble des caisses de retraite passent sous le contrôle de l’Etat et de la
loi de financement de la Sécurité sociale. Le gouvernement et le Parlement ont
alors la main sur la gestion de l’ensemble du système, et peuvent suivre, ou
non, les avis et délibération des partenaires sociaux, qui ne sont
« administrateurs » du système qu’en façade.
La même
année, de nouvelles mesures de baisses de droits sont mises en œuvre à la suite
de la conférence de financement. L’hypothèse d’un âge pivot atteignant
64 ans en 2027 tient la corde, mais ces baisses de droits pourraient
prendre d’autres formes : allongement de la durée de cotisation ou report
de l’âge légal. Ces mesures d’économies, applicables dès la génération 1960, représenteraient
une baisse de droits permanente de 300 euros par mois en moyenne pour la
génération 1965.
A partir de
2025, la « règle d’or » de l’équilibre financier entrerait en
vigueur. Elle consiste à reporter tous les chocs économiques sur les
assurés, et non plus à les faire absorber par la gestion du système de
retraites. Ainsi, les générations nées avant 1975 ne sont pas concernées par
une retraite « par points », mais elles seront les premières dont les
pensions seront fortement affectées par la réforme.
La deuxième
phase démarrerait en 2037 : à partir de cette année-là se mettrait en
place un « âge d’équilibre » : tout départ avant cet âge donne
lieu à un « malus » sur le montant de la retraite de 5 % par
année manquante. Il n’y a dès lors plus de référence à la durée de cotisation.
L’âge d’équilibre envisagé serait fixé à 65 ans dès 2037 pour la
génération 1975, et devrait augmenter par la suite d’environ un mois par an.
Interminable transition
Cependant, à
cette date et pour encore une trentaine d’années, il n’y aurait toujours pas de
système unique par points. Le gouvernement a en effet fait le choix
d’une transition longue, dite « à l’italienne », ce qui signifie que
tout le monde serait « polypensionné » : chacun aurait, pendant
trente ans, à la fois une partie de sa retraite calculée sur la base des
différents régimes actuels (régime général, Agirc-Arrco, fonction publique,
etc.) et une partie calculée en points.
Mais le
malus lié à l’âge d’équilibre s’appliquerait bien, lui, à l’intégralité de la
pension : la part « actuelle » et la part « en
points ». En ce sens, et contrairement à ce qui a pu être dit, les
« droits acquis » ne seront pas garantis. Des personnes ayant validé
une carrière complète pourront tout de même subir un malus sur leurs
« droits acquis ».
Cette
interminable transition est porteuse d’une grande incertitude. D’abord, les
modalités précises en demeurent obscures : elles ont été ajoutées par un
amendement du gouvernement jamais débattu, et leur impact n’a pas été étudié.
De plus, l’évolution des pensions de chacun dépendra de paramètres fortement
manipulables par l’Etat, notamment l’évolution du point Agirc-Arrco pour le
privé et l’évolution du traitement indiciaire pour le public.
La troisième
phase, celle d’un système unique, n’est attendue qu’aux alentours de 2071,
c’est-à-dire lorsque les personnes nées en 2004 atteindront leur âge
d’équilibre, prévu vers 67 ans et 5 mois. C’est seulement à cette date que
les premiers départs dans un système « unique, universel par points »
auraient lieu. Autant dire jamais. Car aucune réforme n’a jamais organisé
un système social un demi-siècle à l’avance, sans que celui-ci soit plusieurs
fois réformé entre-temps.
Des réformes fréquentes et peu lisibles
On le
voit : la mise en œuvre d’un système simple et unique, qui a alimenté une
grande partie des débats concernant le projet de loi, n’aura pas lieu du vivant
de la plupart d’entre nous. En lieu et place, on peut prédire sans trop
s’avancer que, loin d’être « la dernière des réformes », le projet du
gouvernement ouvre une longue période au cours de laquelle risquent de
se succéder des réformes fréquentes, techniques et peu lisibles, visant à
assurer la gestion d’une transition complexe et encore aujourd’hui mal définie.
Cela ne veut
pas dire que la réforme du gouvernement n’aura pas d’impact à court terme, bien
au contraire. Néanmoins, la plupart des enjeux les plus immédiats concernant
notre système de retraites ne sont pas inclus dans la loi qui vient
d’être adoptée sans vote : la règle d’or et la prise de contrôle des
caisses par l’Etat relèvent en effet du projet de loi organique, la seconde loi
du projet de réforme, qui n’a pas encore été débattue.
Les baisses
de droits pour les générations nées avant 1975 et certaines modalités de la
transition seraient, elles, réglées par ordonnances.
Le 49.3 n’y
changera rien : la réforme des retraites est encore devant nous, et elle
promet d’être longue !
Justin Benard est le pseudonyme d’un fonctionnaire d’administration
centrale contraint au droit de réserve, membre du collectif Nos retraites.
Michaël Zemmour est économiste au Centre d’économie de la
Sorbonne/CES-Université-Paris-I et au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation
des politiques publiques/Liepp-Sciences Po.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire