Wolinski, Charb, Tignous… ceux de « Charlie ». Par leurs dessins,
leurs écrits, ils m’étaient familiers. Je n’ai pas connu Lola Ouzounian . Elle avait
17 ans. C'est la plus jeune victime des attentats du 13 novembre 2015. Son père,
Éric Ouzounian, a refusé de participer à la cérémonie des Invalides, et s'en
est expliqué. C’est en consultant le site du « Huffington
Post» que j’ai découvert ce que son père a écrit le 27 novembre 2015.
En ce début d’année
2016, en mémoire de toutes les victimes des attentats, mais aussi pour
souhaiter une politique active de paix
et de fraternité, (sans trop y croire, tant l’esprit guerrier et mercantile domine la
politique extérieure de la France), Il
m'a semblé important de reproduire ici son texte.
Je n’irai pas à l’hommage qui sera
rendu aux victimes à 10h30 aux Invalides parce que je considère que l’État et
ses derniers dirigeants en date portent une lourde responsabilité dans ce qui
s’est passé.
Une politique désastreuse a été menée
par la France au Moyen-Orient depuis plusieurs années. Nicolas Sarkozy a largement
contribué à la chute du régime de Khadafi en envoyant l’armée française
combattre en Libye, en violation des résolutions du Conseil de sécurité de
l’ONU qui interdisaient toute intervention au sol. Or, plusieurs sources
affirmaient à l’époque que les Forces Spéciales étaient « en apesanteur » et
avaient œuvré sur le terrain. La Libye n’était pas ennemie de la France,
Nicolas Sarkozy avait reçu Khadafi avec les honneurs d’un chef d’État, et ce
pays est devenu depuis un cauchemar chaotique où circulent librement armes et
combattants.
François Hollande et Laurent Fabius se
sont ensuite acharnés contre Bachar El Assad, poussant inlassablement les
puissances occidentales à intervenir militairement pour renverser le régime
syrien, alors que celui ci n’était pas l’ennemi de la France. Les frappes
prévues furent annulées in extremis lorsque Barack Obama refusa d’engager les
États-Unis dans cette aventure.
Cette ingérence de la France dans les
affaires intérieures de pays souverains a été menée avec l’argument selon
lequel les dirigeants syriens et libyens massacraient leur peuple. Certes.
Comme Saddam Hussein et Muammar Khadafi, Bachar el Assad est un dictateur
sinistre de la pire espèce. Mais il n’est pas plus exécrable que ceux
actuellement au pouvoir au Qatar et en Arabie Saoudite, avec lesquels la France
entretient d’excellentes relations diplomatiques et commerciales, et qui ont
financé Daesh.
Cette érosion de la compétence
politique est dramatique pour notre pays. Les derniers présidents ont agi avec
une légèreté inconcevable, portés par des vues à court terme. Mais cet aspect
n’est pas le seul en matière de responsabilité du monde politique.
Depuis plusieurs décennies, la
République a laissé se développer des zones de désespoir, que le philosophe
Jean-Paul Dollé nommait avec la justesse qui le caractérisait: “Le territoire
du rien”. Un urbanisme inhumain, sans lieux de loisirs, de culture, sans écoles
dotées de moyens à la hauteur de l’enjeu, au sein duquel aucun sentiment
humaniste et citoyen ne peut éclore. “Cités Dortoirs”, “Quartiers sensibles”,
les termes ont évolué mais le problème demeure et le personnel politique l’a
toujours traité avec indifférence. Raymond Barre promit “d’enrayer la
dégradation physique et sociale des grands ensembles”. Bernard Tapie fut
ministre de la ville, Nicolas Sarkozy annonça un plan Marshall des banlieues et
nomma Fadela Amara Secrétaire d’État chargée de la politique de la ville.
Patrick Kanner l’est aujourd’hui et perpétue quarante ans d’échec.
Le divorce entre les français et leurs
dirigeants est accompli, le contrat social est rompu, le gouffre entre le
peuple et les élites est béant. Les atteintes importantes aux libertés
publiques, votées avec empressement par l’Assemblée Nationale, ne régleront
rien. L’extrême droite pourra toujours surenchérir et les assassins franchir
les frontières.
La France est incapable de proposer un
avenir à sa jeunesse, l’Europe est incapable de dépasser son actuel enlisement
dans le libéralisme. Nos élus sont incapables de proposer une vision politique.
Nos intellectuels, à de rares exceptions près, sont incapables de sortir de
leur lucratif état d’histrions médiatiques. Je suis atterré par mon pays
dévasté et je suis dévasté par la mort de ma fille”.
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