Une ville, une île, un pays : des
territoires que les écrivains s’approprient le temps d’un récit, d’un roman.
S’y déploient la vie des habitants et des passants, heurs et malheurs, libertés
et servitudes, richesses et pauvretés. Géographie et histoire de quelques
lieux.
Une ville : Aden. Philippe Videlier, historien, retrace Quatre saisons à l’Hôtel de
l’Univers (Gallimard 2017). C’est la fascinante histoire de cette ville
des confins de la péninsule arabique, de ce port, carrefour d’importantes
lignes maritimes, de ce site d’où le regard porte loin.
Le regard de l’auteur lui aussi porte loin.
Loin dans le temps : le récit s’étale de 1839 à 1986, loin dans l’espace
car c’est l’histoire chaotique de tout l’Orient arabe qui est ici rapportée, avec
ses personnages célèbres – parmi eux Arthur Rimbaud et Paul Nizan, Lawrence
d’Arabie et Albert Londres, Elizabeth, jeune reine d’Angleterre, Philippe
Soupault – et des anonymes, résidants et visiteurs. Exode et colonisation, massacres et commerces
de toutes sortes, guerres et traités de paix, vie quotidienne et événements
spectaculaires, le regard de l’écrivain se fonde sur une rare érudition, son
récit se déploie avec simplicité et précision, avec humour et finesse d’esprit.
Plus qu’une épopée, c’est un document passionnant qui éclaire un siècle et demi
de l’histoire si complexe de cet Orient si beau et si proche.
Pour découvrir les premières pages du roman,
c’est ici,
pour lire une excellente critique, c’est là
et pour écouter l’auteur et un lecteur, c’est là.
Une île : un territoire minuscule au
nord de la Norvège. Au début du XXe siècle, une seule famille y habite :
le père, Hans Barrøy, propriétaire de l’île qui porte son nom, sa femme Maria,
leur fille Ingrid. Avec eux vivent le père et la sœur de Hans, Martin et Barbro.
Y arriveront le fils de Barbro et deux enfants orphelins. Dans ce territoire
perdu, ils sont Les Invisibles du roman de Roy
Jacobsen (Gallimard 2017).
Ils se fondent dans l’espace restreint de
leur terre, se protègent comme ils peuvent de l’âpreté du climat et de la
violence des éléments. Ils survivent, pêchant, labourant, élevant quelques
vaches et moutons. Ils tentent de construire un quai où un bateau marchand
pourrait accoster, un abri où préparer le séchage du poisson et entreposer les
ballots de plumes d’eiders. Ils vivent en silence, ne s’éloignent que pour
gagner un peu d’argent sur une île plus peuplée ou en pêchant aux îles Lofoten
tout l’hiver, ils meurent isolés.
Mais on voit grandir la petite Ingrid, qui
accompagne son père, traîne dans les jupes de sa mère, puis s’en va à l’école
sur une autre île et travaille dans une famille dont elle recueille les enfants
devenus orphelins. Revenue sur l’île, elle remplace son père lorsqu’il meurt,
fait face aux tempêtes et à la misère, à la maladie de sa mère que le veuvage a
rendue muette. Et puis elle donne vie à ce territoire perdu en repeignant en
blanc la maison qui devient alors « visible du ciel, de la mer, des
montagnes du continent ».
L’auteur norvégien anime l’immuable, révèle
une beauté sauvage. De ces vies ordinaires dans un territoire ignoré, il dégage
une présence puissante et intense. Les humains et la nature apparaissent dans
une langue très poétique et pure.
Les premières pages du roman sont ici.
Un pays : la Palestine, territoire
divisé et occupé. L’ONG israélienne « Breaking
the Silence » recueille les témoignages de soldats bouleversés par
leur service dans les Territoires occupés. Deux écrivains, Ayelet Waldman et Michael
Chabon se sont associés à elle pour demander à des écrivains du monde
entier de séjourner dans les Territoires occupés afin de témoigner dans un
récit de l’état des lieux visités, du quotidien de ceux qui y vivent. Ces
récits sont rassemblés dans Un royaume d’olives et de cendres : 26
écrivains, 50 ans de territoires occupés (Robert Laffont 2017).
Tous ont découvert une réalité
cauchemardesque, aucun ne l’excuse. De retour de l’enfer, ils décrivent des
conditions de vie déplorables, des humiliations incessantes, un envahissement
continu, comme s’il s’agissait « non seulement de s’emparer des
territoires mais aussi de briser les âmes ».
Ce recueil a été publié aux Etats-Unis, en
France, en Espagne, en Italie, en Israël et dans certains pays arabes. Il va
paraître prochainement en Allemagne et aux Pays-Bas, puis au Portugal, en
Bulgarie, en Turquie et en Hongrie en 2018. Les écrivains ont travaillé
bénévolement. Les bénéfices des diverses éditions sont reversés à l’ONG
israélienne et à une ONG palestinienne.
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