mardi 19 septembre 2017

TERRITOIRES

Une ville, une île, un pays : des territoires que les écrivains s’approprient le temps d’un récit, d’un roman. S’y déploient la vie des habitants et des passants, heurs et malheurs, libertés et servitudes, richesses et pauvretés. Géographie et histoire de quelques lieux.

 Une ville : Aden. Philippe Videlier, historien, retrace Quatre saisons à l’Hôtel de l’Univers (Gallimard 2017). C’est la fascinante histoire de cette ville des confins de la péninsule arabique, de ce port, carrefour d’importantes lignes maritimes, de ce site d’où le regard porte loin.
Le regard de l’auteur lui aussi porte loin. Loin dans le temps : le récit s’étale de 1839 à 1986, loin dans l’espace car c’est l’histoire chaotique de tout l’Orient arabe qui est ici rapportée, avec ses personnages célèbres – parmi eux Arthur Rimbaud et Paul Nizan, Lawrence d’Arabie et Albert Londres, Elizabeth, jeune reine d’Angleterre, Philippe Soupault – et des anonymes, résidants et visiteurs. Exode et colonisation, massacres et commerces de toutes sortes, guerres et traités de paix, vie quotidienne et événements spectaculaires, le regard de l’écrivain se fonde sur une rare érudition, son récit se déploie avec simplicité et précision, avec humour et finesse d’esprit. Plus qu’une épopée, c’est un document passionnant qui éclaire un siècle et demi de l’histoire si complexe de cet Orient si beau et si proche.
Pour découvrir les premières pages du roman, c’est ici, pour lire une excellente critique, c’est et pour écouter l’auteur et un lecteur, c’est .

  Une île : un territoire minuscule au nord de la Norvège. Au début du XXe siècle, une seule famille y habite : le père, Hans Barrøy, propriétaire de l’île qui porte son nom, sa femme Maria, leur fille Ingrid. Avec eux vivent le père et la sœur de Hans, Martin et Barbro. Y arriveront le fils de Barbro et deux enfants orphelins. Dans ce territoire perdu, ils sont Les Invisibles du roman de Roy Jacobsen (Gallimard 2017).
Ils se fondent dans l’espace restreint de leur terre, se protègent comme ils peuvent de l’âpreté du climat et de la violence des éléments. Ils survivent, pêchant, labourant, élevant quelques vaches et moutons. Ils tentent de construire un quai où un bateau marchand pourrait accoster, un abri où préparer le séchage du poisson et entreposer les ballots de plumes d’eiders. Ils vivent en silence, ne s’éloignent que pour gagner un peu d’argent sur une île plus peuplée ou en pêchant aux îles Lofoten tout l’hiver, ils meurent isolés.
Mais on voit grandir la petite Ingrid, qui accompagne son père, traîne dans les jupes de sa mère, puis s’en va à l’école sur une autre île et travaille dans une famille dont elle recueille les enfants devenus orphelins. Revenue sur l’île, elle remplace son père lorsqu’il meurt, fait face aux tempêtes et à la misère, à la maladie de sa mère que le veuvage a rendue muette. Et puis elle donne vie à ce territoire perdu en repeignant en blanc la maison qui devient alors « visible du ciel, de la mer, des montagnes du continent ».
L’auteur norvégien anime l’immuable, révèle une beauté sauvage. De ces vies ordinaires dans un territoire ignoré, il dégage une présence puissante et intense. Les humains et la nature apparaissent dans une langue très poétique et pure.
Les premières pages du roman sont ici.

  Un pays : la Palestine, territoire divisé et occupé. L’ONG israélienne « Breaking the Silence » recueille les témoignages de soldats bouleversés par leur service dans les Territoires occupés. Deux écrivains, Ayelet Waldman et Michael Chabon se sont associés à elle pour demander à des écrivains du monde entier de séjourner dans les Territoires occupés afin de témoigner dans un récit de l’état des lieux visités, du quotidien de ceux qui y vivent. Ces récits sont rassemblés dans Un royaume d’olives et de cendres : 26 écrivains, 50 ans de territoires occupés (Robert Laffont 2017).
Tous ont découvert une réalité cauchemardesque, aucun ne l’excuse. De retour de l’enfer, ils décrivent des conditions de vie déplorables, des humiliations incessantes, un envahissement continu, comme s’il s’agissait « non seulement de s’emparer des territoires mais aussi de briser les âmes ».
Ce recueil a été publié aux Etats-Unis, en France, en Espagne, en Italie, en Israël et dans certains pays arabes. Il va paraître prochainement en Allemagne et aux Pays-Bas, puis au Portugal, en Bulgarie, en Turquie et en Hongrie en 2018. Les écrivains ont travaillé bénévolement. Les bénéfices des diverses éditions sont reversés à l’ONG israélienne et à une ONG palestinienne.
Un commentaire à lire et un autre à écouter sont ici et une bande-annonce présente quelques écrivains lors de séquences tournées dans les Territoires occupés. 

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