Sur le ton de l'ironie, le philosophe Yves Michaud
estime que Jeff Koons offre un bien étrange cadeau...
C'est un
grand honneur que l'artiste fait à Paris meurtrie : offrir une sculpture
monumentale, Bouquet of Tulips (on parle de 33 tonnes !), pour un lieu
qui n'est pas évidemment relié aux attentats de 2015 (le Palais de Tokyo) –
sauf si l'on compte Marcel Duchamp au nombre des salafistes…
La question
n'est pas de savoir si la proposition de Jeff Koons va défigurer le site, est
trop lourde pour l'endroit choisi par l'artiste ou même médiocre par rapport à
l'ensemble d'une œuvre qui ne bouleverse nullement l'histoire de l'art. La
question me semble plutôt de savoir ce qu'est un cadeau.
Admettons
que les concepts de Jeff Koons aient une valeur si élevée qu'il puisse en faire
un don royal. Il n'est néanmoins pas coutume de faire payer la confection ni
l'emballage des cadeaux une fois qu'on a eu l'idée de les offrir : confection
et emballage en font partie. Or, Jeff Koons s'arrange pour faire financer la
réalisation de son idée par des mécènes français (anonymes à ce jour) qui,
eux-mêmes, la feront financer en grande partie par la défiscalisation. C'est
astucieux comme un montage d'ingénierie financière.
Connaissant
plutôt bien le réalisme en affaires des Américains (et pas seulement de Trump),
je doute que si notre gloire nationale César avait offert son Pouce (en
idée) pour en confier le financement à des " mécènes " américains
tout en choisissant de le faire trôner devant le Metropolitan Museum, il y
aurait eu une seule voix pour accepter sa générosité.
D'autre
part, le destinataire d'un cadeau est censé pouvoir en faire ce qu'il veut. On
offre, certes, des fleurs pour les mettre sur les cheminées mais une sculpture
de plusieurs dizaines de tonnes n'a pas de destination précise, et l'heureux
destinataire doit pouvoir en user à sa guise. Reconnaissons quand même
l'élégance de Jeff Koons : il ne demande pas à entrer directement au Louvre,
mais juste à se faire valoir devant deux sites muséaux majeurs.
Le
destinataire peut même se débarrasser d'un cadeau : les lendemains de fête,
Leboncoin, Priceminister, Amazon débordent de bonnes affaires. Après tout, la
Ville de Paris pourrait mettre en vente cette œuvre et voir si quelque mécène
n'achèterait pas ce que d'autres mécènes ont payé…
Dans ces
conditions, la réponse courtoise que doit faire la maire de Paris est évidente
: remercier très vivement Jeff Koons de sa généreuse intention, accepter son
cadeau sous réserve qu'il le finance lui-même et placer le chef-d'œuvre où les
autorités voudront. Comme aurait dit l'auteure américaine Gertrude Stein
(1874-1946) : " Un cadeau est un cadeau "
On trouvera
bien un rond-point vers la place de la République, pas trop loin des lieux des
massacres. A moins que, dans sa bienveillance, Mme Hidalgo préfère faire
installer ce chef-d'œuvre près d'un centre d'hébergement de migrants : un
bouquet de fleurs, ça vous -illumine la vie.
Un retrait
des mécènes ?
Deux
dernières choses à propos d'une opération promotionnelle et financière opaque
avant d'être esthétique. D'une part, la liste des sites proposés à Jeff Koons
n'a pas été dévoilée. On peut se demander si même elle existe. D'autre part, le
fait que la liste des " mécènes " ne soit susceptible d'être rendue
publique qu'après réalisation de l'opération laisse penser que la personne
maître d'œuvre du projet est tenue par une clause de confidentialité. Les
termes du contrat ne prévoiraient-ils pas une possibilité de retrait des
mécènes au cas où le site qu'ils ont choisi pour rentrer dans leur
investissement ne serait pas accordé ?
Dans ce cas,
ni vu ni connu, pas d'argent perdu pour cause de non-valorisation. M. François
Pinault, grand collectionneur des œuvres de Koons, n'est-il pas aussi
propriétaire de la salle des ventes Christie's, où Leonard de Vinci - son tableau
Salvator Mundi a été vendu, le 15 novembre 2017, pour 450
millions d'euros - a récemment atteint des sommets à la Neymar ? Il
est curieux qu'on ne s'étonne guère du prix des joueurs de football mais
beaucoup de celui des tableaux. En fait le monde de l'art s'est "
neymarisé ".
Yves Michaud
© Le Monde
Entièrement d'accord! On touche là le grand paradoxe de "l'amitié franco-américaine"! La France vend ses entreprises performantes aux fonds de pensions yankees et finance les "cadeaux" de nos "amis" d'outre atlantique qui font du business sur le dos de l'amitié!
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