mercredi 21 mars 2018

Les histoires de l’Histoire


S’emparer de personnages ou d’événements historiques est, pour un écrivain, une aventure aussi passionnante que risquée. Il s’agit de respecter l’Histoire tout en faisant œuvre de création. Parmi d’autres écrivains rigoureux, trois figures remarquables.

 Michèle Audin a été une éminente mathématicienne avant de se consacrer entièrement à la littérature. Son dernier roman publié, Comme une rivière bleue (Gallimard 2017, collection L’arbalète) est l’histoire de personnages ayant vécu les soixante-douze jours de la Commune. S’appuyant sur la presse de l’époque, sur des livres de témoignages et des documents de l’état-civil, elle construit la réalité quotidienne des quartiers assiégés, décrit les fêtes, transcrit les débats, rapporte les combats que vivent des inconnus, personnages anonymes et oubliés de cette révolution.
Michèle Audin n’invente rien, recrée tout, reconstitue avec exactitude à partir des événements et des documents historiques et fait mémoire de manière admirable des habitants qui ont mené l’insurrection et furent vaincus. Le livre est dédié « à tous les vaincus – pas parce qu’ils ont été battus mais parce qu’ils se sont battus ».
Sur le site de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), la page consacrée à Michèle Audin révèle nombre de ses centres d’intérêt.

 Le 4 juin 1629, le Batavia, navire néerlandais faisant route vers les Indes, est pris dans une tempête et fait naufrage au large de l’Australie. Les rescapés se réfugient dans les îles Abrolhos de Houtman et tentent d’organiser leur survie en attendant d’hypothétiques secours. L’événement a fait l’objet de nombreuses recherches et publications. D’autant plus que l’épave du bâtiment a été retrouvée dans les courant des années 1960.
Dans Massacre des Innocents (Actes Sud 2018), Marc Biancarelli se concentre sur le huis clos insulaire. Son propos n’est pas de relater les faits mais de s’interroger sur la violence, la barbarie qui se sont abattues sur les survivants du naufrage. Car sur l’île, les plus cruels s’arrogent le pouvoir  et assouvissent leurs plus bas instincts sur qui ose leur résister.
S’appuyant sur la peinture hollandaise du XVIIe siècle, l’auteur sonde les comportements humains des survivants à travers les représentations que les peintres font de la violence, de la cruauté. La peinture permet au romancier et au lecteur d’aborder les supplices et les tortures avec la distance du regard du peintre. Marc Biancarelli trace ainsi l’infime frontière entre la barbarie et l’humanité, entre l’horreur et la beauté.
Après Murtoriu (Le glas), traduit du corse par Jérôme Ferrari, Marc-Olivier Ferrari et Jean-François Rosecchi (Actes Sud 2012) et Orphelins de Dieu (Actes Sud 2014) qui, tous deux, évoquent sa Corse natale aux XXe et XIXe siècles, Marc Biancarelli confirme dans ce nouveau roman la puissance et la richesse de son écriture.
Une longue présentation critique se trouve ici où figure un lien pour la lecture des premières pages du roman.

 Jean Rolin est un écrivain voyageur reconnu. Dans son dernier ouvrage, il s’en va observer Le Traquet kurde (P.O.L. 2018), un oiseau jusqu’ici jamais vu en France et qui a été aperçu au puy de Dôme. Sur les traces de l’oiseau, le déplacement géographique le mène d’abord dans le Herfordshire pour étudier les collections du British Museum. Puis au Kurdistan irakien et turc, où il déjoue prudemment les pièges du conflit politique pour ne s’intéresser qu’à l’ornithologie.
Dans son périple, il approche quelques grandes figures de l’empire britannique, ardents militaires et ornithologues passionnés. Et l’on découvre un colonel volant de précieux spécimens dans des collections prestigieuses, s’attribuant des découvertes insolites, menant assauts et combats, tout en observant et tuant des oiseaux rares.
C’est un périple passionnant dans l’histoire et la géographie de l’empire britannique, un récit plein d’humour et de détours inattendus.
Sur le site des éditions P.O.L., une page présente une vidéo, où Jean Rolin parle de son livre, et offre en lecture le commencement du récit.

1 commentaire:

  1. Bien, merci François pour ces trois occasions offertes de lire de belle pages!

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