En 1789, « une culture politique » émerge des cahiers de
doléances
constate l’historien Pierre Serna
dans une tribune au « Monde » .
Ornière politique
Pourquoi et comment la monarchie a-t-elle provoqué,
quelques mois plus tôt, cette libération de la parole, se plaçant elle-même
dans l’ornière politique ? Les caisses sont vides. La dette, impossible à rembourser.
En 1787 pourtant, Calonne, le contrôleur général des finances, réunit
l’Assemblée des notables pour leur présenter la situation : ou les plus
riches du royaume acceptent de payer des impôts comme tous les sujets du roi,
ou bien le royaume court à la banqueroute. Arc-boutés à leurs avantages
fiscaux, les deux premiers ordres refusent.Moins
d’un an plus tard, le 8 août 1788, le roi est contraint de convoquer
les Etats généraux du royaume, non réunis depuis 1614, afin de trouver de
nouveaux subsides. Ce n’est que le 24 janvier 1789 que le règlement
des élections est édicté. Sa majesté désire « que des extrémités de son
royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire
parvenir jusqu’à elle ses vœux et réclamations ». Malouet, futur
contre-révolutionnaire, flaire de suite le danger et conseille à Necker, alors
à la tête du ministère, de cadrer le débat en un programme précis de thèmes,
afin d’orienter l’opinion. Il n’en sera rien.
Un système complexe divise la France en 400
circonscriptions où doivent parvenir tous les cahiers rédigés séparément par
les trois ordres, dans des Assemblées primaires. Portés par des délégués dans
les capitales de baillages et sénéchaussées, sièges des Assemblées électorales,
tous les cahiers sont synthétisés en une nouvelle rédaction, prétexte à
l’élection des députés aux Etats généraux. Ces élus, à leur tour doivent
réduire ces 1 200 cahiers en 36 cahiers, douze pour chaque ordre,
pour ne remettre qu’un cahier le 5 mai 1789, à « sa
majesté », à l’ouverture des Etats généraux. La richesse documentaire se trouve à la
base de la pyramide, là où une radiographie du pays devient possible, livrant
un témoignage unique sur l’état du pays. Que disent les Français ? Dans
les cahiers du tiers-état parisien, le projet s’énonce avec une clarté sans
faille. La France doit avoir une constitution votée par les députés de la
nation. Aucun riche ne peut refuser de payer l’impôt qu’il doit en fonction de
sa fortune, au nom de l’égalité de tous devant la future loi. Entre-temps, le
roi ne peut plus imposer de nouvelles taxes sur les produits de première
nécessité. Une transformation radicale des institutions se prépare en toute
conscience.
La révolte gronde
A l’autre bout de la société, 80 % de la
population française active vivant à la campagne, du fruit de la terre,
présente un visage bigarré, parfois hétéroclite, mais de grands thèmes unissent
la paysannerie. Comment se fait-il que les prix augmentant, ils ne reçoivent
rien de la richesse que leur seigneur montre ostensiblement ? Pourquoi
n’ont-ils plus le droit, contrairement à leurs parents, de profiter des bois
comme un bien commun ? Pourquoi les plus pauvres de la communauté ne
peuvent-ils plus glaner, et sont repoussés des champs pour que le bétail du
seigneur puisse se nourrir avant eux ? La révolte gronde de partout. Des
femmes rédigent leurs cahiers pour réclamer des salaires décents et des
professions qui leur soient réservées. Une « culture politique » se
construit au fur et à mesure de la rédaction des cahiers. La puissance légitime
des futurs citoyens était devenue irrémédiablement plus forte que la force
légale du monarque. Exactement deux cent trente ans plus tard, il n’est pas
inutile de rappeler quelques faits historiques, au moment où le président de la
République a appelé à un grand débat national.
Pierre Serna est professeur à Paris-I, auteur de Comme des bêtes. Histoire politique de
l’animal en révolution, 1750-1850, (Fayard, 2017)
très très intéressant, merci
RépondreSupprimerArticle saisissant. On ne peut s'empêcher d'y voir des similitudes avec le mouvement des gilets jaunes et l'aveuglement des classes dirigeantes (?) accrochées à leurs privilèges et inféodées aux lobbies.
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