ENQUÊTES EN DES TEMPS TROUBLÉS
Chercheur, journaliste, financier devenu écrivain, chacun a enquêté dans son champ. Entre réalité brutale et pure fiction, ces auteurs livrent des ouvrages très éclairants.
Chercheur, journaliste, financier devenu écrivain, chacun a enquêté dans son champ. Entre réalité brutale et pure fiction, ces auteurs livrent des ouvrages très éclairants.
Didier Fassin
est sociologue, anthropologue et médecin. Son livre récent, Mort d’un
voyageur. Une contre-enquête (Seuil 2020) n’est pas un roman. C’est la
relation minutieuse de la mort d’Angelo, un gitan en cavale après une
permission de sortir, abattu par des militaires du GIGN dans une annexe de la
ferme de ses parents. Après avoir été mis en examen, les gendarmes incriminés
ont bénéficié d’une ordonnance de non-lieu confirmée en appel. Les proches
d’Angelo continuent d’exiger que la vérité soit reconnue et que justice soit
rendue.
Didier Fassin
connaît les milieux policier, judiciaire, pénitentiaire pour y avoir mené de
nombreuses recherches en France et aux États-Unis. La contre-enquête qu’il a
entreprise après la mort d’Angelo est méticuleuse, méthodique, argumentée,
complète. Elle analyse les pièces du dossier, elle reprend les dépositions des
témoins en accordant la même importance à tous les récits, sans porter de
jugement. Examinant témoignages et documents, l’auteur met en lumière les
distorsions, les manipulations, les omissions qui ont conduit à dissoudre les
responsabilités. L’analyse est particulièrement éclairante, le constat est
accablant.
Le récit de cette
tragédie, rapporté avec beaucoup d’humanité, déjoue les mécanismes susceptibles
de dissimuler la vérité. Il appelle aussi au respect de ceux que la société et
les institutions relèguent à la marge.
Correspondant du
quotidien Le Monde à Moscou, lauréat en 2019 du prix Albert-Londres, Benoît
Vitkine observe la guerre qui sévit à l’est de l’Ukraine et en rend compte
pour son journal. Donbass (Equinox/Les Arènes 2020), son premier
roman, est une enquête policière sur fond de guerre.
Près de la ligne de
front, la vie quotidienne s’accommode d’une certaine routine de la guerre qui
ensanglante la région. C’est la part de réalité du livre. La fiction commence
par l’assassinat d’un enfant. Le chef de la police locale, désabusé mais
conscient de sa responsabilité, amorce son enquête avec détermination. Sans
grand succès, car ses initiatives sont le plus souvent contrecarrées par ses
collègues et ses chefs. Sans oublier les nombreux trafics qui s’opèrent dans
chaque camp. De plus, reviennent, à intervalles répétés, des souvenirs de
l’invasion soviétique en Afghanistan, des séquelles que cette guerre a laissées
dans les corps et les esprits de ceux qui en sont revenus vivants.
La guerre est
omniprésente dans le roman, l’intrigue policière en est enveloppée. Elle altère
la vie quotidienne, elle oblige à des séparations, des déplacements, des
ajustements pour survivre. L’auteur en rappelle les enjeux, en évoque les
conséquences sur la vie politique et sociale de la région.
Pure fiction !
Quoique… Le café, « noir comme l’enfer, fort comme la mort, doux comme
l’amour », peut avoir un goût très amer. C’est ce que démontre Bertrand
Puard, financier devenu écrivain, dans Ristretto (Fleuve Noir
2019), un roman qui révèle quelques arcanes des marchés des matières
premières.
A la fin du XXe
siècle, au Brésil, une petite plantation de Santos produit un café d’exception.
Accompagnés d’un acheteur, des mercenaires viennent menacer le propriétaire du
domaine qui incite les syndicats à lutter contre l’emprise d’une
multinationale. L’assaut se termine par le massacre du planteur, de sa famille,
de ses employés et de sa plantation.
Vingt ans plus
tard, des meurtres sont commis en différents endroits de la planète. Les
victimes ont toutes été employées de la Premium, un groupe financier
international, et chaque crime est signé d’une esperluette rouge sang gravée
sur un grain de café.
Une ancienne
déontologue du groupe est chargée d’enquêter sur les malversations qui se
jouent dans les salles des marchés. Son enquête, basée en France et constamment
menacée de toutes sortes de manipulations, l’emmène à travers le monde, entre
autres dans les pays producteurs de café : au Vietnam, en Éthiopie, au
Brésil. Les multiples soubresauts des investigations impriment un
bouillonnement à ce roman tonique présenté ici.
L’enfer et la mort mêlés d’un peu d’amour !