Des humanités ...
Les religions n'ont nullement le
monopole de la vie spirituelle, et les humanistes athées ou agnostiques ont les
mêmes droits que les Églises, juge le philosophe Henri Pena-Ruiz.
Le
philosophe chrétien Hegel s'insurgeait que les Églises veuillent confiner l’État dans un rôle d'intendance matérielle et se réserver le monopole de la
vie spirituelle. Il voyait dans celle-ci l'ensemble de la culture humaine,
incluant les arts, la religion, la philosophie et les humanismes, bref les
humanités. Aujourd'hui, le même courant semble animer les Eglises, et le
président Macron vient de leur prêter main-forte. Pourquoi en effet réserver
aux religions les questions portant sur le sens et les valeurs ? Pourquoi
calomnier la laïcité en sous-entendant qu'elle serait antireligieuse et qu'elle
exclurait les religieux des débats démocratiques ? Quels faits peut-il invoquer
pour étayer de tels propos ? Aucun. Il est facile de s'acharner sur une
caricature.
Naguère le
cardinal Jean-Marie Lustiger a milité publiquement, contre la pilule abortive
dite " pilule du lendemain ". Plus récemment, l’Église catholique n'a
nullement été empêchée de faire campagne contre le mariage pour tous. Dans les
deux cas, après le débat démocratique, les représentants du peuple ont tranché.
Pourquoi formuler contre l'Etat laïque une incroyable accusation qui consiste à
prétendre qu'il aurait abîmé le " lien " avec la religion
catholique, entre autres ? Quelle confusion ! Et surtout en quoi le refus de
privilégier publiquement les religions leur ferait-il du mal ? Comprenne qui
pourra. Les fidèles du mouvement catholique Nous sommes aussi l’Église (NSAE)
estiment que toute volonté de privilèges juridiques, symboliques ou financiers
pour les Églises porte atteinte à la pureté d'une foi désintéressée dont
l'éthique est celle d'un libre témoignage.
Spiritualité désintéressée
Comme les
humanistes athées ou agnostiques et à égalité avec eux, les fidèles des
religions prennent part librement aux débats démocratiques. L’Église catholique
voudrait-elle être reconnue comme interlocutrice privilégiée, voire disposer
d'une reconnaissance d'intérêt public alors que les humanistes athées et
agnostiques seraient confinés dans un statut de droit privé ? Ce serait
contraire à la devise républicaine. Liberté, égalité, donc égale liberté. M.
Macron est parfaitement libre, dans sa sphère privée, d'exalter le
catholicisme. Mais en tant que président, il se doit de traiter à égalité
toutes les convictions spirituelles et de n'en privilégier aucune.
Trois
boussoles sont essentielles. En premier lieu, la laïcité est un universalisme
et non un différentialisme. Elle fonde un cadre juridique et politique bon pour
tous et non pour certains seulement. Le souci de l'intérêt général, de la
liberté de conscience et de l'égalité convient à toutes et tous. En second
lieu, elle repose sur un idéal d'émancipation porté par la philosophie des
Lumières et du droit naturel, jadis rejetés par l'Eglise catholique. A une
époque où un patriarcat sacralisé par les trois monothéismes assignait les
femmes au rang de deuxième sexe, le découplage des lois civile et religieuse a
contribué à la conquête de l'égalité des sexes. Une conquête difficile, comme
le fut la dépénalisation de l'homosexualité.
Enfin, le
souci de réserver l'argent public aux seuls services publics, promu par l'idéal
laïque, donne une dimension sociale à la laïcité. L'Etat laïque est lui aussi
porteur de principes et de valeurs, et il permet de vivre les particularismes
sans s'aliéner à eux et en restant ouvert à l'universel. C'est pourquoi Hegel
considérait que les religions n'ont pas le monopole de la vie spirituelle. Le
président Macron, qu'intéresse la philosophie, pourrait s'en inspirer. Il
pourrait s'inspirer aussi du poète chrétien Victor Hugo qui, le 15
janvier 1850, lança la formule parfaite " L’État chez lui,
l'Eglise chez elle ". Une formule qui anticipait la loi de séparation
laïque du 9 décembre 1905. Double émancipation : l’Église n'est plus
contrôlée par l'Etat, et l'Etat n'est plus sous emprise religieuse.
Adversaire
de ce qu'il appelait le " parti clérical ", qui convertit la religion
en volonté de pouvoir, Hugo ne s'opposait pas à la spiritualité religieuse
désintéressée, en sa dimension éthique. Une telle distinction est au cœur de la
laïcité : il suffit de lire Jean Jaurès, Ferdinand Buisson, Aristide Briand et
d'autres, pour s'en convaincre. Employer le même terme de "
radicalisation " pour la laïcité et le fanatisme religieux est
blessant pour les défenseurs de la laïcité.
Une
suggestion pour promouvoir un esprit de fraternité : au lieu d'un enseignement
du seul fait religieux, il serait juste d'organiser un enseignement de
l'ensemble des convictions, humanistes athées ou religieuses, donc des
humanités. Dans une République où athées et croyants sont en nombre
sensiblement égal, ce ne serait que justice.
Henri
Pena-RUIZ
© Le Monde du 12 avril 2018
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