jeudi 12 avril 2018


 Des humanités ...

Les religions n'ont nullement le monopole de la vie spirituelle, et les humanistes athées ou agnostiques ont les mêmes droits que les Églises, juge le philosophe Henri Pena-Ruiz.

 Le philosophe chrétien Hegel s'insurgeait que les Églises veuillent confiner l’État dans un rôle d'intendance matérielle et se réserver le monopole de la vie spirituelle. Il voyait dans celle-ci l'ensemble de la culture humaine, incluant les arts, la religion, la philosophie et les humanismes, bref les humanités. Aujourd'hui, le même courant semble animer les Eglises, et le président Macron vient de leur prêter main-forte. Pourquoi en effet réserver aux religions les questions portant sur le sens et les valeurs ? Pourquoi calomnier la laïcité en sous-entendant qu'elle serait antireligieuse et qu'elle exclurait les religieux des débats démocratiques ? Quels faits peut-il invoquer pour étayer de tels propos ? Aucun. Il est facile de s'acharner sur une caricature.
Naguère le cardinal Jean-Marie Lustiger a milité publiquement, contre la pilule abortive dite " pilule du lendemain ". Plus récemment, l’Église catholique n'a nullement été empêchée de faire campagne contre le mariage pour tous. Dans les deux cas, après le débat démocratique, les représentants du peuple ont tranché. Pourquoi formuler contre l'Etat laïque une incroyable accusation qui consiste à prétendre qu'il aurait abîmé le " lien " avec la religion catholique, entre autres ? Quelle confusion ! Et surtout en quoi le refus de privilégier publiquement les religions leur ferait-il du mal ? Comprenne qui pourra. Les fidèles du mouvement catholique Nous sommes aussi l’Église (NSAE) estiment que toute volonté de privilèges juridiques, symboliques ou financiers pour les Églises porte atteinte à la pureté d'une foi désintéressée dont l'éthique est celle d'un libre témoignage.
Spiritualité désintéressée
Comme les humanistes athées ou agnostiques et à égalité avec eux, les fidèles des religions prennent part librement aux débats démocratiques. L’Église catholique voudrait-elle être reconnue comme interlocutrice privilégiée, voire disposer d'une reconnaissance d'intérêt public alors que les humanistes athées et agnostiques seraient confinés dans un statut de droit privé ? Ce serait contraire à la devise républicaine. Liberté, égalité, donc égale liberté. M.  Macron est parfaitement libre, dans sa sphère privée, d'exalter le catholicisme. Mais en tant que président, il se doit de traiter à égalité toutes les convictions spirituelles et de n'en privilégier aucune.
Trois boussoles sont essentielles. En premier lieu, la laïcité est un universalisme et non un différentialisme. Elle fonde un cadre juridique et politique bon pour tous et non pour certains seulement. Le souci de l'intérêt général, de la liberté de conscience et de l'égalité convient à toutes et tous. En second lieu, elle repose sur un idéal d'émancipation porté par la philosophie des Lumières et du droit naturel, jadis rejetés par l'Eglise catholique. A une époque où un patriarcat sacralisé par les trois monothéismes assignait les femmes au rang de deuxième sexe, le découplage des lois civile et religieuse a contribué à la conquête de l'égalité des sexes. Une conquête difficile, comme le fut la dépénalisation de l'homosexualité.
Enfin, le souci de réserver l'argent public aux seuls services publics, promu par l'idéal laïque, donne une dimension sociale à la laïcité. L'Etat laïque est lui aussi porteur de principes et de valeurs, et il permet de vivre les particularismes sans s'aliéner à eux et en restant ouvert à l'universel. C'est pourquoi Hegel considérait que les religions n'ont pas le monopole de la vie spirituelle. Le président Macron, qu'intéresse la philosophie, pourrait s'en inspirer. Il pourrait s'inspirer aussi du poète chrétien Victor Hugo qui, le 15  janvier 1850, lança la formule parfaite " L’État chez lui, l'Eglise chez elle ". Une formule qui anticipait la loi de séparation laïque du 9  décembre 1905. Double émancipation : l’Église n'est plus contrôlée par l'Etat, et l'Etat n'est plus sous emprise religieuse.
Adversaire de ce qu'il appelait le " parti clérical ", qui convertit la religion en volonté de pouvoir, Hugo ne s'opposait pas à la spiritualité religieuse désintéressée, en sa dimension éthique. Une telle distinction est au cœur de la laïcité : il suffit de lire Jean Jaurès, Ferdinand Buisson, Aristide Briand et d'autres, pour s'en convaincre. Employer le même terme de " radicalisation " pour la laïcité et le fanatisme religieux est blessant pour les défenseurs de la laïcité.
Une suggestion pour promouvoir un esprit de fraternité : au lieu d'un enseignement du seul fait religieux, il serait juste d'organiser un enseignement de l'ensemble des convictions, humanistes athées ou religieuses, donc des humanités. Dans une République où athées et croyants sont en nombre sensiblement égal, ce ne serait que justice.

Henri Pena-RUIZ
© Le Monde du 12 avril 2018

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