" Make the SNCF great
again "
Dans le
fameux rapport Spinetta sur l'avenir du transport ferroviaire, le mot "
écologie "n'apparaît pas, " climat " est cité deux fois, "
statut " 54 fois et " concurrence " 189 fois. De fait, le
débat sur la SNCF s'est focalisé sur le statut des cheminots alors que l'enjeu
est légèrement plus important, puisqu'il s'agit de la planète et de son climat.
Selon l'Agence internationale de l'énergie, la part des émissions françaises de
CO2 dues au transport est passée de 15 % en 1970 à plus de 40
% en 2017, essentiellement à cause des voitures et des camions. A
l'inverse, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie
(Ademe), le train est " l'un des modes de transport terrestre les plus
performants du point de vue énergétique et environnemental ". Une politique
ambitieuse consisterait à envisager la SNCF non comme un poids mort économique,
mais comme un atout pour une mobilité bas carbone.
Prenons par
exemple le mantra de " l'ouverture à la concurrence ". Le
problème n'est pas tant l'absence de concurrence, mais bien au contraire que le
rail est soumis à la concurrence déloyale de l'automobile, qui externalise ses
coûts sanitaires et climatiques. L'histoire montre que le basculement a posteriori
désastreux vers le tout automobile s'est justement fait sous la figure
tutélaire de la sainte concurrence !
L'exemple édifiant des tramways :
Au début du
XXe siècle, aux Etats-Unis, les tramways assuraient 5 milliards de
voyages par an sur 35 000 kilomètres de lignes électrifiées. Il s'agissait
d'un mode de transport sûr, confortable et peu polluant. Entre le réseau
ferroviaire national, le développement des tramways électriques et l'absence de
routes goudronnées, la voiture ne semblait pas une technologie prometteuse.
Mais les compagnies de tramways sont soumises à des attaques constantes
présentant leur situation de monopole comme une entorse à la liberté
d'entreprise. Au même moment, les Ford T envahissent les rues et ralentissent
les trams. Elles augmentent aussi leur coût d'exploitation car les compagnies
de tramways, outre les redevances versées aux municipalités, sont tenues de
maintenir les routes en bon état. A New York, elles y consacrent près du quart
de leurs revenus. De manière paradoxale, le tramway subventionnait
l'automobile.
Le deuxième
acte de la tragédie des tramways a lieu dans les années 1930. Deux grandes
firmes électriques, General Electric et Insull, possèdent alors la plupart des
compagnies, l'intérêt pour elles étant de lisser les pics de consommation. En
1935, le Wheeler-Rayburn Act oblige les électriciens, au nom de la
concurrence, à vendre les tramways. Soudain, des centaines de petites
compagnies non rentables sont mises sur le marché. General Motors, Standard Oil
et Firestone rachètent à vil prix les tramways dans une cinquantaine de villes
américaines, mais c'est pour supprimer les lignes ou les remplacer par des bus
à essence, afin de créer de nouveaux débouchés à l'industrie automobile.
Au même
moment, en France et au Royaume-Uni, les villes adoptent une approche libérale
du transport urbain : les tramways sont tenus d'être rentables et ne sauraient
être subventionnés. Les compagnies se concentrent sur les lignes rentables, en
retardant les investissements. Avec la crise économique, de nombreuses lignes
ferment. Dans les années 1950, le futur semble être à la voiture individuelle,
et la plupart des villes abandonnent leur réseau. L'histoire des tramways
montre que, à l'heure du changement climatique, l'ouverture à la concurrence ne
peut plus être la boussole de nos choix technologiques. Alors que le gouvernement
se dit fasciné par " l'innovation verte ", il semble oublier
qu'il possède avec la SNCF une technologie bien réelle pour réduire
drastiquement les émissions de CO2. Si le président Macron veut vraiment rendre
sa grandeur à notre planète, il lui faudra d'abord redonner toute son
importance à la SNCF.
http://www.laviedesidees.fr/_Fressoz-Jean-Baptiste_.html
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