jeudi 26 avril 2018


" Make the SNCF great again "


  Dans le fameux rapport Spinetta sur l'avenir du transport ferroviaire, le mot " écologie "n'apparaît pas, " climat " est cité deux fois, " statut " 54 fois et " concurrence " 189 fois. De fait, le débat sur la SNCF s'est focalisé sur le statut des cheminots alors que l'enjeu est légèrement plus important, puisqu'il s'agit de la planète et de son climat. Selon l'Agence internationale de l'énergie, la part des émissions françaises de CO2 dues au transport est passée de 15  % en  1970 à plus de 40  % en  2017, essentiellement à cause des voitures et des camions. A l'inverse, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le train est " l'un des modes de transport terrestre les plus performants du point de vue énergétique et environnemental ". Une politique ambitieuse consisterait à envisager la SNCF non comme un poids mort économique, mais comme un atout pour une mobilité bas carbone.
Prenons par exemple le mantra de " l'ouverture à la concurrence ". Le problème n'est pas tant l'absence de concurrence, mais bien au contraire que le rail est soumis à la concurrence déloyale de l'automobile, qui externalise ses coûts sanitaires et climatiques. L'histoire montre que le basculement a posteriori désastreux vers le tout automobile s'est justement fait sous la figure tutélaire de la sainte concurrence !
L'exemple édifiant des tramways :
Au début du XXe  siècle, aux Etats-Unis, les tramways assuraient 5  milliards de voyages par an sur 35 000 kilomètres de lignes électrifiées. Il s'agissait d'un mode de transport sûr, confortable et peu polluant. Entre le réseau ferroviaire national, le développement des tramways électriques et l'absence de routes goudronnées, la voiture ne semblait pas une technologie prometteuse. Mais les compagnies de tramways sont soumises à des attaques constantes présentant leur situation de monopole comme une entorse à la liberté d'entreprise. Au même moment, les Ford T envahissent les rues et ralentissent les trams. Elles augmentent aussi leur coût d'exploitation car les compagnies de tramways, outre les redevances versées aux municipalités, sont tenues de maintenir les routes en bon état. A New York, elles y consacrent près du quart de leurs revenus. De manière paradoxale, le tramway subventionnait l'automobile.
Le deuxième acte de la tragédie des tramways a lieu dans les années 1930. Deux grandes firmes électriques, General Electric et Insull, possèdent alors la plupart des compagnies, l'intérêt pour elles étant de lisser les pics de consommation. En  1935, le Wheeler-Rayburn Act oblige les électriciens, au nom de la concurrence, à vendre les tramways. Soudain, des centaines de petites compagnies non rentables sont mises sur le marché. General Motors, Standard Oil et Firestone rachètent à vil prix les tramways dans une cinquantaine de villes américaines, mais c'est pour supprimer les lignes ou les remplacer par des bus à essence, afin de créer de nouveaux débouchés à l'industrie automobile.
Au même moment, en France et au Royaume-Uni, les villes adoptent une approche libérale du transport urbain : les tramways sont tenus d'être rentables et ne sauraient être subventionnés. Les compagnies se concentrent sur les lignes rentables, en retardant les investissements. Avec la crise économique, de nombreuses lignes ferment. Dans les années 1950, le futur semble être à la voiture individuelle, et la plupart des villes abandonnent leur réseau. L'histoire des tramways montre que, à l'heure du changement climatique, l'ouverture à la concurrence ne peut plus être la boussole de nos choix technologiques. Alors que le gouvernement se dit fasciné par " l'innovation verte ", il semble oublier qu'il possède avec la SNCF une technologie bien réelle pour réduire drastiquement les émissions de CO2. Si le président Macron veut vraiment rendre sa grandeur à notre planète, il lui faudra d'abord redonner toute son importance à la SNCF.

par Jean-Baptiste Fressoz (Le Monde du 25 avril 2018)
http://www.laviedesidees.fr/_Fressoz-Jean-Baptiste_.html 

lundi 16 avril 2018

N'est-ce-pas trop demander ?

 Dans un précédent billet j’avais souligné l’intérêt qu’il y avait de confronter les données, les analyses, les revendications et les projets à propos de la SNCF. Ceux du gouvernement sont connus, ils sont répétés  sur la plupart des médias qui par ailleurs n’osent organiser un vrai débat avec les principaux protagonistes. C’est dommage ! Car parmi ces derniers la fédération des cheminots CGT a effectué un travail  remarquable d’analyses et de propositions pour l’avenir de la SNCF que l’on peut lire ici « ENSEMBLE POUR LE FER ».
Par exemple qu’en est-il réellement de  la question de l’ouverture à la concurrence ? En comparant  ce qui peut être comparable et en  menant une réelle analyse socio-économique de l’impact des politiques libérales dans le ferroviaire en Europe, un constat s’impose : la concurrence n’augmente pas la fréquentation, n’améliore pas la qualité de service et ne baisse pas les prix ! Et tous les chiffres cités dans ce document détaillant cette analyse (que l’on peut lire ici)  sont issus de statistiques européennes (Eurostat) et études de la Commission européenne.
Le gouvernement souhaite que l’Assemblée Nationale vote en première lecture le projet de loi portant réforme de la SNCF le 17 avril quand ce même projet a été présenté seulement le 9 avril à cette même Assemblée ! Pourquoi donc tant de précipitation ? Un véritable débat public sur l'avenir de cette grande entreprise, n'est-ce-pas trop demander ?

jeudi 12 avril 2018


 Des humanités ...

Les religions n'ont nullement le monopole de la vie spirituelle, et les humanistes athées ou agnostiques ont les mêmes droits que les Églises, juge le philosophe Henri Pena-Ruiz.

 Le philosophe chrétien Hegel s'insurgeait que les Églises veuillent confiner l’État dans un rôle d'intendance matérielle et se réserver le monopole de la vie spirituelle. Il voyait dans celle-ci l'ensemble de la culture humaine, incluant les arts, la religion, la philosophie et les humanismes, bref les humanités. Aujourd'hui, le même courant semble animer les Eglises, et le président Macron vient de leur prêter main-forte. Pourquoi en effet réserver aux religions les questions portant sur le sens et les valeurs ? Pourquoi calomnier la laïcité en sous-entendant qu'elle serait antireligieuse et qu'elle exclurait les religieux des débats démocratiques ? Quels faits peut-il invoquer pour étayer de tels propos ? Aucun. Il est facile de s'acharner sur une caricature.
Naguère le cardinal Jean-Marie Lustiger a milité publiquement, contre la pilule abortive dite " pilule du lendemain ". Plus récemment, l’Église catholique n'a nullement été empêchée de faire campagne contre le mariage pour tous. Dans les deux cas, après le débat démocratique, les représentants du peuple ont tranché. Pourquoi formuler contre l'Etat laïque une incroyable accusation qui consiste à prétendre qu'il aurait abîmé le " lien " avec la religion catholique, entre autres ? Quelle confusion ! Et surtout en quoi le refus de privilégier publiquement les religions leur ferait-il du mal ? Comprenne qui pourra. Les fidèles du mouvement catholique Nous sommes aussi l’Église (NSAE) estiment que toute volonté de privilèges juridiques, symboliques ou financiers pour les Églises porte atteinte à la pureté d'une foi désintéressée dont l'éthique est celle d'un libre témoignage.
Spiritualité désintéressée
Comme les humanistes athées ou agnostiques et à égalité avec eux, les fidèles des religions prennent part librement aux débats démocratiques. L’Église catholique voudrait-elle être reconnue comme interlocutrice privilégiée, voire disposer d'une reconnaissance d'intérêt public alors que les humanistes athées et agnostiques seraient confinés dans un statut de droit privé ? Ce serait contraire à la devise républicaine. Liberté, égalité, donc égale liberté. M.  Macron est parfaitement libre, dans sa sphère privée, d'exalter le catholicisme. Mais en tant que président, il se doit de traiter à égalité toutes les convictions spirituelles et de n'en privilégier aucune.
Trois boussoles sont essentielles. En premier lieu, la laïcité est un universalisme et non un différentialisme. Elle fonde un cadre juridique et politique bon pour tous et non pour certains seulement. Le souci de l'intérêt général, de la liberté de conscience et de l'égalité convient à toutes et tous. En second lieu, elle repose sur un idéal d'émancipation porté par la philosophie des Lumières et du droit naturel, jadis rejetés par l'Eglise catholique. A une époque où un patriarcat sacralisé par les trois monothéismes assignait les femmes au rang de deuxième sexe, le découplage des lois civile et religieuse a contribué à la conquête de l'égalité des sexes. Une conquête difficile, comme le fut la dépénalisation de l'homosexualité.
Enfin, le souci de réserver l'argent public aux seuls services publics, promu par l'idéal laïque, donne une dimension sociale à la laïcité. L'Etat laïque est lui aussi porteur de principes et de valeurs, et il permet de vivre les particularismes sans s'aliéner à eux et en restant ouvert à l'universel. C'est pourquoi Hegel considérait que les religions n'ont pas le monopole de la vie spirituelle. Le président Macron, qu'intéresse la philosophie, pourrait s'en inspirer. Il pourrait s'inspirer aussi du poète chrétien Victor Hugo qui, le 15  janvier 1850, lança la formule parfaite " L’État chez lui, l'Eglise chez elle ". Une formule qui anticipait la loi de séparation laïque du 9  décembre 1905. Double émancipation : l’Église n'est plus contrôlée par l'Etat, et l'Etat n'est plus sous emprise religieuse.
Adversaire de ce qu'il appelait le " parti clérical ", qui convertit la religion en volonté de pouvoir, Hugo ne s'opposait pas à la spiritualité religieuse désintéressée, en sa dimension éthique. Une telle distinction est au cœur de la laïcité : il suffit de lire Jean Jaurès, Ferdinand Buisson, Aristide Briand et d'autres, pour s'en convaincre. Employer le même terme de " radicalisation " pour la laïcité et le fanatisme religieux est blessant pour les défenseurs de la laïcité.
Une suggestion pour promouvoir un esprit de fraternité : au lieu d'un enseignement du seul fait religieux, il serait juste d'organiser un enseignement de l'ensemble des convictions, humanistes athées ou religieuses, donc des humanités. Dans une République où athées et croyants sont en nombre sensiblement égal, ce ne serait que justice.

Henri Pena-RUIZ
© Le Monde du 12 avril 2018

mercredi 4 avril 2018


Incompréhensible !

 C’est le mot préféré  de la Ministre des Transports, Elisabeth Borne, et de la noblesse technocratique de la  république  en marche (LRM) qui nous gouverne. Ainsi, la grève des cheminots est pour « ces gens-là » incompréhensible ! Alors revenons aux faits :
M Attal, député LRM, assurait lundi 2 avril sur France-Inter que le gouvernement suivrait le rapport qu’il a commandé à M Spinetta. Or ce rapport et aussi de nombreux médias reprennent, comme le souligne le site The conversation des « chiffres trop souvent orientés ». Les deux universitaires auteurs de cette remarque  suggèrent que si l’on veut réformer, faisons-le mais armés des véritables données et non de fantasmes. Lire en entier cet article ici vous démontrera que ce qui apparait incompréhensible pour les uns, est tout à fait compréhensible par les autres (salariés  de la SNCF d’aujourd’hui et de ceux de demain et usagers) !
Pour en sortir, il faut ouvrir de véritables négociations : repartir d’une « feuille blanche », confronter les données, les analyses, les revendications et les projets (et non une simple concertation qui est du seul ressort de la mise en œuvre d’une réforme).
Pour en savoir plus, consultez les sites des principaux syndicats (par ordre d’influence):

Et puis il y a ce texte, dont les signataires appellent à soutenir financièrement les cheminots et auquel nous nous joignons.
Nous avons de la sympathie pour les cheminots grévistes. Ils défendent un de nos biens communs, une entreprise de service public que le gouvernement cherche à transformer en « société anonyme ».
À ce jour, la ministre des transports n’a pas ouvert de négociations. Le pouvoir engage un bras de fer. Nous nous souvenons des grèves de 1995 et 1968 durant lesquelles les cheminots avaient arrêté le travail. La solidarité entre voisins et collègues mit en échec le calcul gouvernemental  de dresser les usagers contre la grève.
Chacun comprend que les journées de grève coûtent et que pour le succès de leurs revendications, il importe que le mouvement puisse durer. Nous soutiendrons financièrement les cheminots.
Arié Alimi, avocat, Armelle Andro, démographe, Étienne Balibar, philosophe, Laurent Binet, Romancier, Geneviève Brisac, écrivaine, Michel Broué, mathématicien, Dominique Cabrera, cinéaste, Antoine Comte, avocat, Philippe Corcuff, politiste, Alexis Cukier, philosophe, Didier Daeninckx, romancier, Leyla Dakhli, historienne, Annie Ernaux, écrivaine, Geneviève Fraisse, philosophe, Robert Guédiguian, réalisateur, Nedim Gürsel, écrivain, Christophe Honoré, réalisateur, écrivain, Martine Kaluszynski, historienne et politiste, Leslie Kaplan, écrivaine, Luc Lang, écrivain, Robert Linhart, écrivain, Gérard Mordillat, romancier, cinéaste, Toni Negri, philosophe, Jenny Plocki, institutrice retraitée, Patrick Raynal, romancier, Emmanuel Renault, philosophe, Judith Revel, philosophe, Christian Salmon, écrivain et chercheur, Jean-Marc Salmon, chercheur,  Bernard Stiegler, philosophe, Dominique Tricaud, avocat, Jean-Claude Zancarini, professeur émérite, ENS Lyon.